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Habiter la Terre… Etats Unis
Colorado - Drop City 2 et le Blue Dôme
A la recherche de Drop City.
Lane bricole ingénieusement le "Blue Dôme", contre vents et marées.
Jeudi 3 Juillet
Un cow boy tatoué jusqu'à la moëlle descend
lentement l'escalier du motel, une selle sur l'épaule. Hier soir
il faisait cuire son steak sur le parking, avec son barbecue portable. A 8 heures il y a
déjà la queue au drive in du Deltaco, le fast food du
coin, ouvert 24 h sur 24. Nous avons fait escale à Pueblo. Les
panneaux commencent à être écrits parfois en
espagnol.
Nous sommes en route vers Drop City. En descendant vers le sud, le
paysage s'assèche encore. L'herbe est jaunie. Trois
années de sécheresse successive.
Je suis les indications de Clark, à l'approche de Trinidad. Nous
sortons du highway, et je m'approche d'une maison. Il y a cet
invraisemblable capharnaüm typique des maisons américaines.
Soit c'est super rangé, soit c'est le souk le plus total. Nous
sommes dans le deuxième cas de figure. Il semble n'y avoir
personne. Un ancien café rempli de toiles d'araignées.
Quelques véhicules, dont certains sont de vraies épaves.
Je cherche un peu plus sur la gauche. Un homme au physique de
comédien de western débarque d'un pas lent et sûr
"- Bonjour, comment çà va ? Je cherche Drop City.
- Oh oui, Drop City, je connais. C'est là où il y avait
les hippies, c'est plus au sud, il faut sortir à la sortie
numéro 18, puis passer sur le highway, et continuer vers l'est,
vous arriverez à El Moro, et au carrefour, c'est là.
- Vous avez connu Drop City, vous ?
- Oui il y avait plein de gens avec des cheveux longs, c'étaient
des hippies, qui vivaient dans de drôles de maisons. Vous savez,
c'était tout une époque…
- Et vous ? vous ne faisiez pas partie de ce mouvement là, vous aviez leur âge ?
- Non, moi j'avais la ferme, j'avais le même âge qu'eux, oui, mais je vivais d'une autre manière."
Quelques miles plus loin, la sortie numéro 18. On domine une
large vallée. Il y a la bifurcation indiquée. Lieu dit El
Moro. Cà y est ! Je reconnais l'endroit. Cette pente, avec cette
perspective sur la montagne à la forme caractéristique au
fond. Les dômes devaient être sur ce terrain, là,
à gauche.
Le terrain a été racheté par un ferrailleur, qui y
entrepose un bric à brac invraisemblable. Carcasses de camions.
Véhicules de tous âges envahis par les herbes. Stock de
ferrailles rouillées. Tas de bois.
J'espère trouver quelques traces de Drop City. Il
paraîtrait qu'il resterait la structure déglingué
d'un dôme, à côté d'un hangar. Je m'approche
d'un homme aux grandes oreilles, qui a l'air un peu simplet, avec sa
casquette vissée sur la tête. Quasiment muet. Plusieurs
chiens aboient derrière le grillage. Visiblement le
propriétaire des lieux n'est pas là. Drôle
d'ambiance.
Plus bas, le voisin le plus proche semble également être
absent. Quelques chiens aboient encore. Il y a trois voitures
garées devant la maison, mais cela ne veut pas dire qu'il y ait
quelqu'un… Chou blanc. Je décide d'aller voir de l'autre
côté de la route. Il y a cet immense bâtiment en
pierre, un peu décalé. Il s'agit de l'ancienne
école d'El Moro. Abandonnée. Il semble n'y avoir
personne, mais finalement un jeune homme sort. je recommence mes
questions.
"- Oui Drop City c'était juste sur le terrain en face de la
route, là. Je connais l'histoire, mais je n'ai jamais vu tout
cela, je suis là depuis seulement quatre ans."
Je sors les photos de Drop City que j'ai apporté.
"- Oh Cool ! c'est bien !"
Je lui montre les dômes.
"- Oh c'est bien, regarde celle ci. Oh çà devait être une sacrée expérience !"
L'homme est visiblement intéressé par l'affaire.
"- Oui c'était là, mais maintenant il n'y a plus rien.
- J'avais entendu dire qu'il restait un dôme, à côté d'un hangar ?
- Je n'ai rien vu moi, et cela fait quatre ans que je suis là."
Je laisse ce gaillard et son projet de transformer l'ancienne
école d'El Moro en musée du dessin animé (!) pour
remonter voir le terrain.
Une voiture est passée, vite, entre les arbres. Je m'approche
d'une partie du terrain rempli de vieilles carcasses, de pneus, de
ferrailles diverses. La voiture est garée à
côté d'une caravane que j'avais vu tout à l'heure
mais qui semblait abandonnée. Visiblement quelqu'un habite
là. Je toque à la porte.
Un moustachu au visage buriné ouvre.
"- Bonjour, je cherche Drop City.
- Je ne sais pas ce que c'est, Drop City."
Derrière, il y a une femme, qui reste dans l'ombre. L'homme
discute en espagnol avec la femme. Bien sûr ! Ce sont des
mexicains…
Je lui sors les photos.
"- Mira, los habitaciones…"
Il s'approche, visiblement mis en confiance par le fait que je lui
parle en espagnol, et regarde à nouveau les photos. Non, il n'a
jamais vu cela. Quand je lui demande s'il habite là, et s'il
travaille là, tout à coup tout bascule, son visage change
d'expression, il rentre dans la caravane en claquant la porte.
Visiblement il s'agit d'un clandestin venu du Mexique, qui ne veut pas
avoir d'ennuis avec la police. Il doit penser que nous sommes des
policiers. Je vois sa femme qui a soulevé un coin du rideau, et
surveille ce que nous faisons.
Je file tranquillement à la voiture, en espérant que le
mec ne ressorte pas un flingue. Pierre fait un plan
supplémentaire, et l'homme sort tout à coup en hurlant :
"- Arrêtez de filmer ma maison !"
Ok, ok, on s'en va…
Nous avons quitté Drop City, où plutôt ce qu'il en
reste, c'est à dire rien. Cà fait bizarre d'être
là. J'avais tellement entendu parlé de cet endroit. Une
expérience qui peut paraître insignifiante ou anodine
à certains, mais qui est pourtant le creuset
d'expérimentations inédites et novatrices pour
l'époque.
Break à Trinidad, et nous avons repris la route.
Nous avons passé il y a une demi heure à peine le col qui
mène à la San Luis Valley. Un panneau discret indiquait
une direction sur la route 160 qui file vers l'ouest, vers
l'intérieur des Rocheuses. "Blue Dôme". J'ai eu une sorte
de feeling tout à coup. Quelque chose qui m'a dit : il faut
aller voir là bas. Une intuition très forte. Une bonne
intuition. Il faut tout bien préparer, le mieux possible, mais
en même temps laisser la place libre à l'improvisation.
C'est la règle. La règle de la souplesse.
Nous nous approchons d'une maison au milieu d'un bosquet d'arbres,
perdue au beau milieu d'une grande prairie, avec les montagnes au fond.
Il s'agit d'une structure assez surréaliste : une maison avec un
dôme, mais aussi plusieurs protubérances en forme de toits
très pentus, et une sorte de petit clocheton. Plusieurs voitures
de collection. Quelques cockpits en plexiglass font office de
fenêtres. Un univers en bichromie : bleu et blanc. Excellent.
Il s'appelle Lane Hönn. Il habite au "Blue Dôme". Quand nous
arrivons, il est en train de bricoler des planches de bois à
l'extérieur, dans le vacarme d'un groupe
électrogène. L'homme s'approche en souriant.
"- Bonjour ! Elle est extraordinaire votre maison !?
- Oh merci ! Ecoutez, il y a plein de choses intéressantes à ce propos."
Lane est du genre intarissable. Visiblement content de voir du monde,
il lâche sa scie circulaire, coupe le groupe
électrogène, et m'entraîne immédiatement
dans la visite de son "château". Il y a plusieurs hauts parleurs
qui diffusent de la musique classique à l'extérieur. Elle
se mélange au son des deux éoliennes qui tournent
à toute allure au dessus de nos têtes.
"- Quand j'étais petit, je suis venu en vacances. On quittait
les plaines du Middle West pour venir chercher les montagnes. J'ai
adoré cet endroit. J'ai acheté le terrain en 58. Et
puis j'ai commencé à construire. Tout seul. Au
début, les gens du pays disaient que j'étais fou."
Lane a installé un système de recyclage de l'eau. D'abord
il récupère de l'eau de pluie. Puis il pompe l'eau de la
nappe phréatique, avec une ancienne éolienne (qui est en
panne en ce moment d'ailleurs). L'eau passe dans plusieurs circuits, il
a des réserves. Deux machines à laver sont
installées en série (!) permettant d'utiliser l'eau sale
pour faire le prélavage des affaires très sales (atelier
oblige). Lane est un bricoleur de génie, un auto constructeur
éclairé. Instituteur à la ville voisine d'Alamosa,
il est aujourd'hui à la retraite. Pendant des années, il
fut famille d'accueil pour des enfants en difficulté, dont les
parents filaient en prison et se battaient.

Nous entrons à l'intérieur de la maison. Partout Lane
réfléchit économie, autonomie, efficacité,
avec en même temps un côté artistique et
décalé. Un drôle de mix.
"- J'ai construit cette maison en réfléchissant à
tout. J'ai pris des tonnes de notes avant de commencer, sur des sujets
très variés. Et j'ai construit quelque chose qui me mette
à l'abri pour longtemps. Je me souviens de ma grand mère,
dans l'Idaho, elle a été obligée de vendre sa
maison parce qu'elle ne pouvait plus payer de quoi la chauffer ! Je me
suis dit : il ne faut pas qu'un truc comme cela m'arrive."
Nous entrons dans la salle principale, le "Blue Dôme". Un immense
espace. Deux chambres en mezzanine. Etagères avec collections de
voitures miniatures. Poêle à charbon central. Grands
canapés. télévision. Coin cuisine, avec frigo au
gaz. Tout y est.
"- J'ai tout ici, je vis confortablement. Les gens pensent qu'à
l'intérieur des dômes c'est le bazar, ce n'est pas vrai !"
Lane a installé un système de miroirs, qui diffuse la
lumière à partir d'une seule lampe. Une seule lampe
suffit la nuit pour traverser la maison !
La salle de bain est un univers bleu rempli de miroirs. En sortant de
l'atelier des batteries électriques et son embrouillamini de
fils électriques, Lane allume la lampe du couloir en souriant :
sa voix enregistrée sort d'un haut parleur, et dit à peu
près ceci :
"- N'oubliez pas d'éteindre les lampes derrière vous.
N'oubliez pas que vous avez fait une vraie bêtise en votant Bush
une première fois, et que si vous avez vôté Bush
une deuxième fois, c'est impardonnable !"
Quand on éteint la lumière, le message redémarre…
Pas d'arbres quand Lane est arrivé là. Il s'est dit que
cela pouvait pousser, puisqu'il y avait de l'eau dans le sous sol. Il a
planté des saules, et aussi des arbres fruitiers. Cerisiers,
abricotiers, etc… Les services forestiers du secteur, sceptiques
dans un premier temps, viennent aujourd'hui prendre des boutures pour
les replanter sur d'autres parcelles.
Lane est intarissable. Nous passons plusieurs heures chez lui. Il me
raconte l'histoire de son hangar, dont il a fait la toiture coulissante
sur des glissières, pour que les camions viennent sans peine lui
livrer le charbon.
"- Ils n'ont plus qu'à reculer, et versent leur benne directement dans le hangar ! Pas de manutention !"
Mais les voisins ont cru qu'il s'agissait d'un lance missile, et l'ont
dénoncé à la police. Les policiers sont venus,
sceptiques. Et même un jour un hélicoptère
renifleur, aux radars thermiques, qui faisait le tour de sa maison
à 30 mètres du sol…
"- Ecoute cette histoire marrante : j'ai quelques ennemis dans le pays
- surtout quand je me suis installé - et j'ai vu qu'il jetaient
leurs canettes de bières en passant dans mon terrain, ou dans le
fossé. J'ai remarqué qu'il y en avait beaucoup plus
qu'ailleurs. Alors je me suis mis à les ramasser, tout
simplement ! Et je les apporte au centre de recyclage.
Qu'est ce qu'ils peuvent être stupides ! Eux croient me faire
chier avec leur canettes, et finalement çà me rapporte de
l'argent !"
L'orage s'approche. Il y a quelques gouttes. Un arc en ciel se forme au lointain.
"- Regarde ce peuple américain qui vit dans des boîtes !
Il faut chercher d'autres pistes, toujours sortir des chemins battus,
développer sa créativité."
Nous quittons Lane, qui a recommencé à bricoler son
panneau de bois décoratif pour son prochain véhicule
prototype.
"- Merci beaucoup."
La poignée de main est ferme et franche.
"- Tu sais, ce n'est rien pour moi…"
Le vent s'est levé, chasse maintenant les quelques gouttes de
pluie. Vers l'Est, l'orage claque, là bas, sur les montagnes de
Sangre de Cristo. Les grands espaces de la vallée de San Luis
s'illuminent d'une lumière tout à coup sublime. De ce
genre de coucher de soleil qu'il semble n'y avoir que dans l'Ouest. On
se dit que l'Amérique est photogénique, à moins
que cela ne soit le sourire de Lane qui nous fasse voir le bon
côté des choses.
Demain nous quittons le goudron pour nous enfoncer dans les vallées paumées des Rocheuses.
J'ai rendez vous avec une bande de passionnés de caravanes d'un
genre très spécial : les mythiques caravanes de la marque
américaine Airstream.
=:-)
Sommaire voyage Etats Unis
Etape suivante : Tim, Sean et Ron construisent les "Vaisseaux de la Terre", maisons bioclimatiques à Taos, au Nouveau Mexique.