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Habiter la Terre… Etats Unis
Nouveau Mexique
Tim, Sean et Ron construisent à Taos des maisons bioclimatiques : "les vaisseaux de la Terre".
Dimanche 6 Juillet
Nous franchissons le canyon du Rio Grande, au nord de Taos. A cet
endroit, il fait plus de 200 mètres de profondeur, vraie
entaille dans le désert environnant. Oui, le terrain, dès
que l'on quitte les montagnes, est une terre sèche, une lande
où vivent serpents venimeux et autres chiens de prairies. C'est
pourtant ici, dans ces conditions particulièrement difficiles
(écart extrême de température) que l'équipe de
Michael Reynolds construit depuis une vingtaine d'années des
"Eartships", maisons bioclimatiques avant l'heure, véritables
modèles de maisons autosuffisantes. Ces "vaisseaux de la terre"
se sont améliorés au fil des ans, pour devenir
aujourd'hui de plus en plus performants.
La première maison que nous visitons est l'Earthship "Phoenix".
Phoenix est un belle maison qui procure immédiatement une
sensation de bien être quand on pousse la porte. On est pas tout
à fait dans une maison, et plus vraiment dans la nature. Des
formes arrondies un peu partout (il faut aimer, c'est vrai). De grands
volumes. La façade au sud est totalement vitrée. L'espace
central est envahi de plantes. Une grande cuisine et un salon
trés colorés. Plus on va vers le nord, moins les
pièces sont chaudes. Les chambres sont fraîches.
L'ensemble est un peu new age au niveau déco mais vraiment sympa.
La construction des Earthships est basée sur quelques principes
fondamentaux simples, mais ici bien maîtrisés. D'abord le
recyclage des matériaux de construction. Les murs de la maison
sont fait de pneus de voiture remplis de terre. Ils constituent
l'assise de la maison. Contre ce mur en pneu, on entasse de la terre,
qui va faire une masse thermique importante. Une façade
vitrée constitue une serre "tampon" d'un point de vue thermique.
Les petits murs et les murs d'enceintes sont fait en canettes
d'aluminium recyclées et en adobe. L'énergie est
procurée par des panneaux solaires et des éoliennes. La
récupération de l'eau de pluie est un point essentiel car
elle permet de vivre sans apport extérieur.
"- Reynolds a choisi cet endroit - Taos, au Nouveau Mexique - pour
tester le système. C'était un challenge. Ici, on a des
températures qui descendent bien en dessous de zéro en
hiver, et l'été il fait vraiment très chaud. Peu
de précipitations : regardez, là un orage se
prépare, mais il va claquer sur les montagnes là bas. Ici
il y a un vrai microclimat."
Ron Sciarrilo est un américain d'origine italienne.
Séduit par les idées de l'architecte fondateur, Ron a
décidé de faire partie de l'aventure des Earthships. Il
en est aujourd'hui un des moteurs principaux. Il a construit sa maison,
et a commencé le chantier d'une deuxième, juste à
côté. Nous sommes dans une sorte d'immense
carrière, laissée à l'abandon par les
autorités.
"- Ils ont pris la terre et les cailloux pour faire le highway. Comme la
terre avait déjà été utilisée, les
droits d'accès ne sont pas chers du tout. Quand il pleut
beaucoup, l'eau est drainée dans cette cuvette. Nous allons
valoriser cet aspect pour y planter des arbres."
Ron continue.
"- Si on veut respecter "Mère Nature", il faut vivre sans trop
avoir d'impact sur nos ressources. Nous courrons droit vers
l'épuisement des ressources naturelles, il faut réagir
vite. Mais réagir c'est agir. Ici on fait la preuve que cela est
possible."

Ron a un discours huilé, mais qui tient la route. Quand les 130
Earthships seront terminés (il y en a actuellement 65) la
communauté des Earthship sera la plus grande communauté
de maisons auto suffisantes en énergies au monde. Nous entrons
dans la maison de Ron.
"- Là il y a ce qu'on appelle la Green House, c'est une sorte de
serre tampon. On peut y faire pousser des légumes. Là
j'ai des salades, là des tomates, des poivrons, des bananes.
- Vous récoltez des bananes là ?
- Oui nous faisons des récoltes."
Nous voici maintenant dans la partie d'habitation proprement dite. Nous
sommes au milieu du désert, le soleil tape, pourtant l'air est
frais à l'intérieur.
"- C'est incroyable la sensation de fraîcheur en rentrant ! Il y
a quelque chose dont on ne se rend pas compte sur les photos, c'est
cette sensation dans les maisons !
- Tu as raison, çà fonctionne vraiment bien. C'est la
masse thermique qui fait cela. C'est pour cela que les maisons sont
à demi enterrées."
Les Earthships sont vraiment bien conçus pour cela. En ce sens on pourrait dire qu'ils sont bioclimatiques.
"- En hiver, le soleil est bas, il rentre. C'est pour cela que les
maisons sont exposées au sud. En été, il ne fait
pas très chaud à l'intérieur, parce qu'il y a un
système de trappes, qui permet de ventiler la maison. La
convection se fait de manière naturelle, il n'y a pas de
climatisation."
L'aménagement intérieur de la maison de Ron n'est pas
très original. Justement Ron a voulu faire la
démonstration qu'on pouvait avoir une maison "normale" qui soit
auto suffisante.
"- Regarde, j'ai la télévision, un lave linge et un
séchoir. J'ai tout ce qu'il faut. La seule chose que je n'ai
pas, c'est le sèche cheveux.
- Eh, moi non plus je n'ai pas besoin de sèche cheveux ! (je rigole de ma brosse)."

Ron est intarrissable. Je suis bluffé par le nombre
d'américains bavards que je rencontre ! En fait ce sont des
passionnés, vu le sujet de cette aventure, et ils veulent me
transmettre le maximum de choses. Mais quand même… Nous
montons sur le toit. On voit bien les panneaux solaires
photovoltaïques (dernière génération) pour
produire l'électricité, et deux panneaux de solaire
thermique, pour l'eau chaude sanitaire. Ron m'explique le circuit de
récupération de l'eau de pluie.
"- Le toit est en métal dans cette maison. On fait comme cela
depuis plusieurs années, parce qu'ainsi la neige fond plus vite
en hiver. Elle se transforme rapidement en eau sans s'accumuler sur le
toit. Il y a beaucoup de soleil même en hiver, alors la neige
pourrait fondre en s'évaporant."
Ron me montre la simple rigole qui draine l'eau vers un filtre, puis
vers deux réservoirs enterrés dans la masse de terre du
côté nord de l'Earthship.
"- Nous avons une réserve d'eau pour six mois ! Le système est modulable. Si nous avons besoin de plus, il
suffit de creuser là, de poser un nouveau réservoir, de
rebrancher un autre tuyau, et on augmente la capacité."
Les sceptiques et les grincheux (spécificité
française ?) trouveront toujours une raison pour dire que le
système des Earthships n'est pas viable à grande
échelle. Pourtant l'équipe de Mickael Reynolds a
multiplié les constructions un peu partout dans le monde
(Bolivie, Allemangne, Japon, Afrique du Sud, etc…). En ce moment
ils construisent une maison à Bonaire, dans les Caraïbes.
Un Earthship a même été construit en Normandie il y
a quelques années. Reynolds est un entrepreneur à
l'américaine. Aujourd'hui il vend livres et plans. On peut
même acquérir son Earthsip en 15 jours. Il vient vous le
construire sur votre terrain avec son équipe ! Chiche ?
Juste devant la maison de Ron, il y a une partie du terrain qui cache
les bassins de traitement des eaux usées. La maison est
récente, alors il n'y a pas encore beaucoup de
végétation.
"- Ici, les eaux grises reviennent dans des cuves, puis il y a un
bassin de décantation qui est en fait plein de terre, nous
faisons une sorte de piscine étanche dans le sol"
Le trop plein s'écoule dans un bassin d'épandage. Ron
m'explique les trois étapes successives de filtration de l'eau.
"- C'est important de ne rien renvoyer de mauvais dans le sol. Je te
garantis que l'eau est totalement filtrée à la sortie du
système. Je suis prêt à laisser ma maison si
quelqu'un me montre que l'eau que nous rejettons n'est pas propre !"
Ron est reparti à ses affaires. Nous circulons dans la
communauté. Même si les Earthships sont tous construits
selon les mêmes principes, chaque maison a son propre style. En
voici une particulièrement belle et cohérente, d'un point
de vue architectural. Devant, la propriétaire a garé sa
Beetle, et l'ensemble est tout à coup très futuriste.
Quand je m'approche pour faire une photo, un lièvre
détale devant moi. Je regarde filer ses grandes oreilles aux
pointes noires entre les touffes d'herbe. Je me souviens tout à
coup que les américains (comme les anglais) ne mangent jamais de
lapin, considéré ici comme animal domestique. Dommage
quand même… Quel gâchis ! Un bon civet…
D'autant que cela renforcerait leur auto suffisance alimentaire !
Bref, je dois commencer à être en hypoglycémie, il est temps de détaler.
A défaut de lièvre il faudra se contenter d'une Fajita
grassouillette au restaurant mexicain branchouille de Taos, où
quelques cow boys latino disputent la place aux touristes
américains et à un biker solitaire qui tente de se
consoler avec une bouteille de vin rouge.
Vers l'Ouest un orage se prépare, à nouveau. La nuit va être chaude.
Lundi 7 Juillet
Ce matin le temps est plutôt instable, mais il y a quand
même de grandes éclaircies. Les Eartships brillent dans la
plaine. Etonnant de voir toutes ces maisons autosuffisantes, à
moitié enterrées. Pas de raccordement au réseau.
Pas de fil électrique, pas de tranchées dans le
désert.
Nous déboulons dans une maison en chantier. Le gros oeuvre est
fait, il reste encore pas mal de second oeuvre à installer. Tim
est en train de préparer sa journée de travail. Tim est
d'origine anglaise, il fait partie de la bande d'autoconstruteurs des
Earthships. Cheveux courts, piercing dans les narines, boucles
d'oreille en bois et métal. Barbichette. Le genre "On ne lui la
fait pas".
"- C'est quoi le boulot aujourd'hui dans la maison ?
- Je dois poncer ces poutres."
Tim travaille avec une petite ponceuse rotative…
"- Normalement on fait plutôt çà avant, non ?
- Oui c'est vrai… mais là nous n'avons pas pu faire comme çà."
Tim me montre la pièce qui vient d'être finie. Le sol est
fait de quelques grosses pierres plates et d'une surface marron sombre,
très lisse.
"- C'est un sol en adobe aussi, on dirait vraiment du béton, mais non."
Je glisse la main au sol. L'adobe a été lissée,
puis imprégnée à l'huile de lin. Cela donne un
beau rendu soyeux, de couleur sombre.
"- Chacun sait un peu tout faire. Il y a des spécialisations, mais chacun peut tout faire dans la maison."
Dans la cuisine, je m'approche du plan de travail. Coulé sur
mesure, dans un béton teinté en bleu, poncé et
lissé, avec des morceaux de verre bleu à
l'intérieur.
"- Ce sont des morceaux de bouteilles là aussi.
- Ah oui ?
- On les écrase, et on les incorpore au ciment. Là tu
vois il y a aussi des petites pierres qui donnent des touches de
couleur marron.
- Je crois que je vais faire le même chez moi !"
J'aide Tim à bouger l'échafaudage, dans la pièce
principale. Avant d'ajuster son masque, Tim se retourne encore une fois
vers moi.
"- En France j'avais vu un échafaudage génial.
- Un système qui se plie ?
- Oui, c'est çà.
- Je crois qu'il y a un côté exotique dans les outils, tu ne crois pas ?
- Oui tu as raison, j'aime çà aussi. J'avais une scie japonaise avec une super poignée.
- Tu sais, je deviens fou dans les magasins de bricolage ici."
Rigolade. Puis Tim recommence à poncer.
Dehors, devant le chantier, Sean se cache sous un large chapeau en
paille. Petites lunettes fines, corps d'européen (je veux dire
pas obèse…), dreadlocks, pantalon camouflage. Je
m'approche de la bétonnière. Sean prépare de
l'adobe pour finir le mur du jardin. Un simple mélange de terre, ramassée sur place, de sable, et de paille.
"- C'est de la paille du Colorado, juste un peu au nord."
Les proportions sont simples : une part de terre, une part de sable, et
de la paille. C'est tout. 5 minutes de bétonnière.
"- Oui, c'est une bétonnière électrique qui est
branchée sur les batteries. Nous utilisons un groupe
électrogène pour installer le système solaire, et
ensuite tout fonctionne au solaire."
Au bout de quelques minutes, l'adobe fait une pâte
homogène et collante. J'aide Sean à vider la
bétonnière, puis nous filons au mur. Le mur du jardin est
fait de centaines de bouteilles de bière ou de sodas
posées à l'horizontales, et assemblées grâce
à ce mortier rustique.
D'abord Sean et moi posons l'adobe en tas sur les bouteilles
déjà alignées, puis le lissons avec les mains.
C'est la première fois que je brasse de l'adobe. J'aime cette
odeur de terre et de paille. Sean travaille avec un petit morceau de
bois.
"- C'est la mesure. il faut que cela ait cette épaisseur."
Il me montre l'écartement.
"- Les bouteilles, ce n'est pas structurel, c'est juste pour le
recyclage, et aussi çà permet de faire moins d'adobe. Ce
qui fait la solidité c'est l'adobe. Alors il faut poser les
bouteilles un peu espacées."
En séchant, l'adobe va vraiment durcir. Je pose les bouteilles de
bière à l'horizontale, en les espacant
régulièrement, comme m'a montré Sean, et en les
enfonçant bien dans l'adobe. Sous un premier abord un peu
distant (Tim m'avait prévenu), Sean se révèle
plutôt bavard, lui aussi. J'ai le sentiment qu'il est en
confiance. Et nos gestes combinés, fluides, le rassurent
sûrement un peu. L'important, dans un chantier, c'est de garder
un rythme.
"- Travailler l'adobe, ici, les gens savent faire. C'est une technique
traditionnelle. Ce sont des chantiers plutôt collectifs, c'est
l'occasion pour les membres de la communauté de se retrouver, et
de faire quelque chose ensemble. J'aime cette idée d'être
ensemble pour construire sa maison."
Sean est reparti à la bétonnière. Je suis seul,
tout à coup. Seul, au beau milieu du désert de Taos, au
Nouveau Mexique, à brasser l'adobe. Vlà ti pas que je
construis la maison des autres, maintenant, alors que je n'ai
même pas fini la mienne… C'est du propre…
Nous sommes allés jeter un oeil au chantier d'en face. Une
maison qui commence juste. Alignement de pneus dans le désert.
La matinée est vite passée. Nous quittons Tim et Sean, les laissant à leur chantier.
"- La maison devrait être finie dans deux semaines.
- Hein !? ben dis donc je vais vous inviter chez moi pour finir la mienne !"
En début d'après midi nous prenons la route pour le sud.
Direction Albuquerque. Le highway 68 s'étire le long du canyon
du Rio Grande. Ranch. Collines. Buissons d'épineux sur un
terrain couleur sable.
Un fort orage à la hauteur de Santa Fe.
A gauche, les panneaux publicitaires géants vantent les
mérites hivernaux des Sandia Mountains. A droite il y a
d'immenses zones pavillonnaires qui s'étendent jusqu'à
l'horizon, avec leurs rafales de petites habitations
climatisées, alignées le long des rues, comme dans toutes
les villes américaines. Voici Albuquerque, et son downtown qui
ressemble aux villes mexicaines des westerns. Ici, il faut basculer
l'interrupteur. Position latino. Mieux vaut parler espagnol qu'anglais.
On mange mexicain en terrasse.
Demain nous prenons un avion pour l'Arizona. Tucson, exactement,
à quelques encablures seulement de la frontière mexicaine.
=:-)
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