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Habiter la terre… Chine ! - Mosuos
Voyage en Chine
Septembre - Octobre 2007
Mosuos
Mardi 25 Septembre
Il n'y a pas une Chine, mais des Chines. La Chine est une mosaïque
de minorités. Plus d'une cinquantaine officiellement reconnues,
mais plus de 400 groupes ethniques différents. Normal, vu
l'immensité du pays (18 fois la France). Lijiang était le
siège de l'ancien royaume naxi. On y rencontre donc des naxi,
mais aussi des Pumi, des Yi, etc…
Nous partons en voiture pour 8 heures de route, dans le fin fond du Yunnan. Objectif le lac Lugu.
Il faut franchir cinq montagnes successives. Parfois on monte
jusqu'à 3000 mètres d'altitude, parfois on descend
jusqu'à 1500 mètres, par exemple en longeant cet
énorme fleuve : nous longeons le cours supérieur du Yang
Tsé Kiang. Là, un immense train de vagues,
d'énormes contre courants, des remous très
impressionnants. Il a beaucoup plu cet été, presque deux
mois et demie sans interruption ! Ici un pont au dessus du fleuve, puis
la route repart en face, monte en lacets sur des kilomètres.
Maintenant, la route empierrée domine de plusieurs centaines de
mètres le cours supérieur du Yang Tsé Kiang, qui
roule ses eaux couleur café au lait dans les gorges.
Plus haut, dans la vallée, les Yi poussent leurs troupeaux de
chèvres sur des sentiers escarpés. Les Yi sont une de ces
400 ethnies chinoises. A mi-pente, ils ont bâti leurs maisons en
pisé et en bois. Maïs rustique, piments, quelques
légumes. Réputés comme brigands, les Yi ont
mauvaise réputation. Rebelles, ils ont repoussé à
plusieurs reprises l'armée rouge pendant la longue marche.
Après des attaques ponctuelles, ils allaient se réfugier
dans les montagnes. Du fait des dénivelés importants, et
donc des changements de végétation, cette partie de la
Chine est un réservoir incroyable de biodiversité. Les Yi
sont les rois de la botanique. Il y a quelques années, une
mission soi disant scientifique américaine était venue
essayer de leur piquer - pour le faire breveter - le principe actif
d'une de leur préparation, à partir de plantes
endémiques de cette partie du Yunnan.
Mais ceci est une autre histoire…
La route devient piste, puis route à nouveau. La ville de
Ninglang. Encore un col, puis une courte descente. Break dans un petit
restaurant.
Drôle de végétation. Palmier, buis, piments accrochés en grappes sur la façade.
Nous sommes repartis, mais pas pour longtemps. Le chauffeur s'est
arrêté, pour sortir de dessous son siège un long
couteau. Il prétend que dans cette région les attaques de
brigands ne sont pas rares ! Nous rigolons.
La route monte à nouveau. L'altimètre indique 3000
mètres. La route est mauvaise, elle monte en lacets entre des
falaises calcaires. Je repère deux ou trois grottes au
passage… La végétation change à nouveau.
Mélèzes, bouleaux. Le dernier col. 3200 mètres.
Dans une immense cuvette entourée de falaises calcaires, aux
pentes couvertes d'une dense forêt de conifères, voici le
lac Lugu ! Lichens, bancs de brume qui traîne sur les
arêtes. Un point de vue, dans un virage, avec quelques femmes,
semblant être sorties de nulle part, qui vendent des champignons
frais juste cueillis.
Le lac Lugu est célèbre parce qu'on trouve sur ses rives
l'ethnie Mosuo. Cette petite ethnie de 30 000 habitants préserve
à travers les âges des traditions et des rites
particuliers. C’est une des rares sociétés
matriarcales encore en état dans le monde. Ici on pratique le
"mariage ambulant", l'union libre. Difficile à croire, et
pourtant c'est vrai.
Plus de vingt villages sont répartis autour du lac. Les 30 000
membres des Moso, une branche de l'ethnie Naxi, ont gardé une
organisation matriarcale de la société. Lors du 50e
anniversaire des Nations Unies, on a donné aux Moso le titre de
communauté modèle. Pourquoi ? Parce qu'ici, selon des
anthropologues, il n'y aurait pas de rapports de domination entre
hommes et femmes ni de ces querelles courantes dans les
sociétés patriarcales concernant des
propriétés. Parce que les hommes n'ont pas de pouvoir et
ne contrôlent pas la terre, rien ne les inciterait à se
battre. Les Mosuo n'ont d'ailleurs pas ressenti le besoin d'inventer
des mots pour parler de guerre, de meurtre ou de prison.
Les hommes sont dispensés de travail. De temps à autres,
ils aménagent les maisons, les réparent ou en
construisent d’autres. Les femmes en groupe assurent
l’essentiel du travail pour la subsistance quotidienne. A la
tombée de la nuit, les hommes les rejoignent : ils se
présentent sous la fenêtre de la jeune femme dont ils
espèrent les faveurs. Celle-ci en choisit un avec lequel elle va
passer la nuit. Chaque soir elle peut - si elle le souhaite - se
choisir un partenaire différent. L’homme
écarté par une jeune femme s’empresse d’aller
rejoindre une autre jeune femme jusqu’à en trouver une qui
l’accepte. Rapidement les couples se sont formés et durant
la nuit, ils doivent conduire leurs ébats avec discrétion
sans déranger la maisonnée…
La nuit, l'homme va donc chez la femme. Le jour, tous les deux
continuent de vivre dans leur propre famille. Ici, la paternité
biologique n'a pas de sens. Les enfants appartiennent à la
mère et à son clan, tandis que les oncles jouent le
rôle de pères. Le taux de croissance de la population y
serait le plus bas au monde : 0.78 %.
Pour l'instant, nous arrivons sur les rives du lac. Les chinois sont en
train de transformer les régions ethniques en parc
d'attractions. De réduire la tradition au folklore. Ils font
çà au Vietnam aussi. Ici, après les avoir
enrégimenté à la sauce Mao pendant des
décennies, on les utilise pour attirer les touristes. Et quand
les chinois ont décidé de s'occuper de tourisme, ils
mettent le paquet. Sur les premiers villages, quand la route arrive au
lac, des dizaines de guest house sont alignées au bord du lac.
La plupart des bâtiments sont neufs, et une bonne partie est
encore en construction. La capacité d'acceuil va être
énorme. Bien sûr, aucun système d'assainissement
n'est prévu… D'ailleurs la visibilité de l'eau,
qui était de dix mètres est passée à 6
mètres en l'espace des deux dernières années.
L'eau du lac était potable il y a encore dix ans. Aujourd'hui,
personne ne songerait plus à la boire…
Et pourtant ce lac est un endroit magique.
En le contournant, on rentre dans la province du Sichuan. Nous
affrétons à l'arrache une pirogue. Il faut traverser de
l'autre côté des marécages, pour trouver des
habitants qui vivent "dans leur jus". Une grosse demi heure de
navigation, au milieu des roseaux. Un homme au visage buriné
mène une pirogue rustique à la rame, aidé par deux
enfants excités et fiers d'emmener des étrangers sur le
lac. Nous glissons au seul bruit des rames qui claquent. Une sorte de
chenal entre les roseaux, puis l'ouverture sur le lac. Dans la zone des
deux mètres de fond, les algues poussent. Elles sont en fleur en
ce moment ! C'est magnifique. Des centaines de fleurs blanches semblant
flotter à la surface de l'eau. J'ai pris la rame, car le gamin -
qui faisait le fier au début - n'en peut plus. Après un
long passage sur le bord du lac, nous entrons à nouveau dans les
roseaux, pour s'approcher du village. Une sorte de chenal naturel,
entretenu par le trafic des pirogues. Avec toutes ces pluies de
l'été, le niveau du lac est monté de deux
mètres ! Nous débarquons au milieu des saules. Nous voici
dans un village Mosuos. Portage des sacs le long d'un sentier qui
chemine à travers les murets de pisé.
Les maisons Mosuos sont construites en madriers de sapins. Nous entrons
chez You Chen. You Chen vit avec sa mère dans une maison Mosuo
traditionnelle. Ce sont les hommes qui construisent les maisons, et les
retapent…
Il y a d'abord la cour… Un boeuf et des cochons, des volailles.
Sur la droite, une porte basse donne accès à une grande
pièce commune, haute de plafond, construite autour de quatre
piliers massifs. C'est là où vit la mère de You
Chen : Namu Li. Sur le côté de la pièce, un foyer
ouvert, entouré de carrelages. Une banquette en bois, avec un
foyer, et un énorme wok. Un vieux canapé. Il faut aller
chercher l'eau au puits. Une seule ampoule, couverte de mouches mortes
grillées par la chaleur.
En cadeau, nous apportons des denrées rares : du sucre, du
thé, et aussi quelques friandises. Une partie sera tout de suite
déposée en offrande au Bouddha, qui a son petit autel
juste au dessus du foyer. Les Mosuos pratiquent une religion mixte.
Décor de la pièce commune d'inspiration tibétaine,
avec des emprunts au taoïsme.
Un homme débarque, au sourire éclatant. Il a entendu dire
que des étrangers avaient traversé le lac pour venir au
village. C'est en fait le secrétaire local du parti ! Un Mosuo
qui a été nommé à ce poste. On nous offre
le thé, puis un autre homme arrive. Et deux autres femmes, une
soeur de You Chen, et sa belle soeur. En quelques instants, en allumant
un deuxième foyer dans l'espace qui leur sert de cuisine. La
pièce s'enfume en quelques minutes. Dans un coin, contre les
planches grossières d'un placard, Namu Li dévore
déjà une cuisse de poulet, en repoussant les tentatives
d'un chat.
Ca discute ferme en cuisinant. You Chen a 24 ans, elle n'a pas de
"mari". Elle a envie d'en faire venir. Je lui demande comment on fait
pour rencontrer les hommes ici. Timide, elle m'explique qu'il y a un
code. on se serre la main, et on gratte un peu avec le doigt à
l'intérieur de la paume. Si l'autre répond, le couple va
se rencontre plus tard. On fait crac crac dans la nature, ou alors dans
la chambre de la femme, mais surtout sans que la mère l'entende
! (pas simple…) Le secrétaire du parti, tout joyeux, avec
lequel je viens de trinquer deux fois, me raconte sa version masculine
de la rencontre. Tout le monde rigole.
Il est tard. Les voisins sont partis. Namu Li et You Chen se
préparent pour la nuit. Je m'allonge sur le canapé. Les
rats courent au dessus de moi. La clarté de la pleine lune de ce
soir commence à se faire sentir à travers les planches
non jointives du toit. On nous a préparé des couettes. A
côté du foyer. Les braises encore chaudes accompagneront
une bonne partie de ma nuit.
Mercredi 26 Septembre
J'ai super mal dormi, à cause de la pleine lune, entre
autres… Namu Li a commencé à travailler à
4h15 ce matin… Il fallait donner à manger au boeuf. A
l'aide d'un bout de bois, elle tape sur les fleurs de tournesol
éparpillées dans un coin de la cour.
Puis You Chen l'a rejoint, et elles préparent maintenant la nourriture pour le cochon.
Les toilettes sont juste à côté des cochons. On
s'accroupit sur deux briques, au dessus d'une rigole. Les cochons, je
les entends grogner juste à côté. Je sens
même leur souffle, à travers les fentes, entre les
madriers de bois grossièrement assemblés.
Après avoir donné à manger aux cochons, dans la
cour, You Chen et sa mère s'accordent un petit déjeuner
frugal : du thé, et des pommes de terre cuites à l'eau,
puis posées sur les braises du foyer.
Nous partons voir la belle soeur. Namu Li traîne son boeuf le
long du sentier, entre les champs de maïs. Nous retrouvons la
belle fille, et son fils, âgé d'un an. Namu Li prend son
petit fils dans ses bras. Une vieille dame étale des graines de
courge à sécher sur une sorte de tamis.
Au carrefour des deux rues en terre battues du village, les hommes sont accroupis. Ils fument de drôles de pipe.
Les femmes semblent fières de leur position sociale. Elles
tiennent aujourd’hui toujours au maintien de ce mode de vie car
elles estiment ne vivre avec leur compagnon que des moments
d’amour et de sentiments partagés sans qu’aucune
dispute ne vienne détruire ou perturber cette relation. Les
aspects matériels, les questions de propriété, les
aspects de l’éducation des enfants, tous les sujets sur
lesquels tous les couples vivants ensemble vont se quereller tôt
ou tard, n’existent pas pour les amoureux du peuple Moso. Ils
s’aiment sans contrainte. Il n’y a pas de mariage
arrangé ou pire, forcé. Ils se sont choisis et lorsque
l’homme se languit de sa compagne, il va la voir.
"- Oui, c'est bien de pratiquer l'amour libre", me confirme ce grand père qui porte son petit fils endormi dans son dos.
Pour l'instant, Namu li est repartie travailler, il faut ramasser les
pommes de terre, en plein cagnard, et ensuite encore des haricots. Nous
traversons des champs de maïs, et des champs de chicorée en
fleur.
You Chen est revenue à la maison préparer le repas de
midi. Au menu : du riz, et du poulet. Parce qu'elle est bouddhiste,
elle me demande de saigner le poulet… Gasp, çà
fait un moment que je ne me suis pas collé à ce genre de
truc ! J'ai l'habitude pour les lapins, quand ils passent sous la
voiture lors des voyages nocturnes - je les épluche pour en
faire du civet - mais le poulet pas trop mon truc. D'habitude c'est le
voisin qui les égorge… On finit par le retrouver ce
voisin, ce qui m'évite une séquence délicate.
Après le repas, pris en commun sous le rayon de soleil qui est
venu pointer le foyer à travers l'unique calustrou en plastique
de 30 cms sur 20 qui sert à faire rentrer la
lumière… You Chen nous fait visiter sa chambre. Il faut
presque écarter les fagots de haricots en train de sécher
au premier étage du grenier à grain pour y arriver. Une
petite porte en bois donne sur une minuscule pièce où on
tient debout seulement sur le premier mètre. La pièce est
presque exclusivement occupée par un grand lit. Sur le
côté, un portant avec deux robes, et deux ou trois autres
habits. Une paire de chaussures, en plus des sandales que You Chen
porte toute le journée. Au mur un poster d'un groupe de musique
Naxi. Au plafond, une bâche chinoise à rayures bleue rouge
et blanc empêche - en cas de pluie - les gouttières du
toit en planches grossièrement équarries de tomber sur le
lit. L'ampoule nue qui pend au plafond.
You Chen compte toujours se trouver un mari, et continuer à
vivre selon les traditions Mosuos. Elle l'amènera ici, pour leur
nuit d'amour.
Plus tard, visite au temple, où un lama de la secte des bonnets
rouges est en train de taper lui aussi sur les fleurs de tournesol,
dans la cour centrale. A ses côtés deux femmes coupent des
courges pour en récolter les graines. Le reste ira aux cochons.
A l'étage, le temple est un minuscule lieu de prière,
avec un mélange de deux religions : bouddhisme, et taoisme.
Etrange.
Il est temps de partir. You Chen a pris sa rame avec laquelle elle va
parfois pêcher la friture dans le lac. Une voisine l'accompagne,
nous filons entre les saules. C'est le retour, dans les roseaux, et
toujours ces fleurs blanches comme posées à la surface du
lac. L'eau transparente laisse voir les algues ballottées par un
léger courant. De gros cumulus se forment sur les reliefs. A
l'embarcadère, deux hommes nous regardent accoster.
Dernières poignées de main rapides. Maintenant You Chen
et sa voisine s'éloignent, en faisant un petit signe timide,
à travers les roseaux.
Le lac Lugu, un bel endroit du monde…
Il va nous rester une heure de route pour aller se poser de l'autre
côté du lac, dans un endroit plus "civilisé", comme
on dit…
Demain nous retournons à Lijiang - à nouveau 8 heures de
route ! - pour y reprendre l'avion, pour la suite du périple.
Jeudi 27 Septembre
Deux gros raviolis fourrés à la viande, et un oeuf au
plat (avec les baguettes, pas si facile…) au petit
déjeuner ce matin. Avec l'éternel thé vert. Il ne
fait pas beau aujourd'hui, les nuages bas cachent les sommets. Nous
avons eu de la chance, encore, hier…
Il faudrait raconter le retour sur Lijiang. Le passage du col à
3200, dans le brouillard. Puis six heures de route cette fois ci. Le
chauffeur est pressé de revoir sa femme. Quitte à prendre
quelques risques. Il aura fallu le calmer.
La pause au bord du Yang Tsé Kiang, pour dévorer des légumes et du riz.
En fin d'après midi, nous arrivons à Lijiang, et filons
dans un petit Guest House, dans un secteur calme. Le tenancier est un
artiste. Lunettes, cheveux long. Ne fume pas que du tabac,
visiblement… Sa femme, en tenue traditionnelle, tapote sur son
PC, et hurle au téléphone. C'est visiblement elle qui
porte l'affaire au quotidien. Il ont retapé une vieille maison.
Huit chambres au bord d'un petit canal. Collection de thé rares,
bois décapé, vases design, wifi. Rien à dire.
Etalage du linge sale dans la chambre. Douche plus que bénéfique.
Et on retourne au petit boui boui où on avait mangé à l'aller.
Nous avons fini la partie campagnarde du voyage, pour un temps tout au moins. Demain, changement d'ambiance !
=:-)
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