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Back from Gaza
Demain Yitzhak Rabin et
Yasser Arafat vont se serrer la main, à Washington, en
présence du président américain Bill Clinton.
Point d'orgue de la signature d'un accord de paix. Une poignée
de main historique.
Nous sommes à Gaza, pour vivre cet évènement de
l'intérieur de la société palestinienne.
Pour réaliser un nouveau numéro du magazine "24 H".
Une équipe de journalistes a préparé le terrain.
Nous déboulons en commando spécial, avec Hervé aux
commandes…
Dimanche 12 Septembre
Hier soir nous avons mangé tous ensemble dans un petit
restaurant en terrasse, à Jérusalem, sur des chaises en plastique, au milieu de la
circulation. Puis
nous étions en groupe au mur des lamentations. Même
filé jusqu'au fond du tunnel, sous la mosquée… Pour un premier voyage en Israël, c'était une belle entrée en matière.
Aujourd'hui il fait 35 degrès à l’ombre. J’ai la
tête un peu “dans le seau” ce matin. Nous avons
roulé sans arrêt depuis Jérusalem.
A l’approche de Gaza, la présence militaire
israëlienne se fait sentir. Les effectifs ont été
renforcés, car les autorités craignent des mouvements
terroristes du Hamas.
Nous débarquons dans une station service où va avoir lieu
l’échange des voitures. En effet, hors de question de
rentrer dans Gaza avec des voitures aux plaques jaunes....
Coca en terrasse d'un de ces cafés - échoppes aux
façades improbables, qu'on trouve dans tout le moyen orient. Un
simple rideau de fer, et quelques chaises en plastique en plein cagnard.
Stéphane, Alain et Jihan arrivent, avec les voitures
palestiniennes. Les chauffeurs sont des sympathisants de l’OLP,
des chauffeurs de taxi, des traducteurs, interprètes, etc... Ils
connaissent Gaza sur le bout des doigts... Tant mieux.
Je monte dans une des voitures, et nous partons vers la ville. Confiance.
Longues lignes droites bordées de cactus et de barraques en tôle. La BMW roule pied au plancher...
Au loin, deux véhicules militaires se sont postés de part
et d’autre de la chaussée. Notre chauffeur ne les a pas
vus.... Il freine un peu trop tard. Le militaire fait un signe,
très doucement. La BMW ralentit, et se gare sur le bas
côté. Notre chauffeur baisse la vitre, et prononce
quelques mots au militaire qui lui fait face. C’est un
jeune, très jeune même, qui ne bronche pas.
Il nous a mis en joue, puis, de la main droite qui quitte à
peine le canon de son fusil pointé sur nos poitrines, il nous
fait un petit signe pour nous dire de descendre du véhicule.
Lentement, nous sortons de la voiture. Quatre autres militaires se
mettent en position autour de la BM. Ils échangent quelques
mots, leurs regards balayent notre petit groupe, les environs.
Méfiants. Ils ont tous le doigt sur la gachette de leur M 16. En
face de moi, le jeune, qui doit avoir 18 ans, nous dévisage.
Le soleil au zénith nous écrase. Carte de presse
temporaire du service de presse israëlien, passeport. Le
chauffeur, qui paraît être connu des militaires, est
questionné. Il sort ses papiers fébrilement, semble
s’excuser. Le jeune a repris ses questions.
- "Où allez vous ? Vous êtes journalistes ?..."
Derrière lui, un autre jeune s’est approché, le M
16 prêt à tirer. Le premier lui fait signe de
s’écarter, de reprendre sa position.
- "Vous êtes allé dans beaucoup de pays ?"
Une constatation en forme de question.
- "Oui…"
Esquisse de sourire, sans savoir vraiment s’il le faut. Chacun
regarde aux alentours, parce qu’il faut bien regarder
quelque part, et parce qu’il est difficile de regarder ces gens
en face, dans les yeux. Peut être il serait même dangereux
de soutenir leur regard. En même temps, ne pas trop baisser la
tête, parce que nous ne sommes fautifs de rien ! Ces moments
où on a l’air bête sans rien faire... On va
respirer, et tout va bien se passer, ok ?
Au bout de quelques minutes un peu longues, la tension baisse tout à coup, nous repartons.
Il est midi. Nous traversons Gaza dévastée par cinq
années d’intifada. Le Cliff Hotel, en bord de mer, pas
très loin d’une implantation israëlienne. Ici comme
ailleurs, la confrontation quotidienne, le face à face permanent.
Briefing à 14 heures. Ce matin deux attentats ont eu lieu,
faisant six morts, par balles ou explosion. Le Hamas a promis du
grabuge. Pourtant l’OLP signera avec eux dans
l’après midi un accord sur la journée historique de
demain.
A 16 Heures nous quittons la ville. José va chez les colons, dans une
implantation israëlienne, à une vingtaine de kilomètres au sud. Mais
pour le moment, il nous faut ressortir des territoires, pour pouvoir
téléphoner et contacter la police. En effet, je dois
suivre le responsable de la police de Gaza.
Repas à Ashquelon, où nous retrouvons David, un
français que nous avons pris comme interprète. Pendant le
repas en terrasse, de nombreuses voitures de police et ambulances
passent en hurlant. En fait, il y a eu un attentat sur la ligne d’autobus 300, qui
relie Tél Aviv à Gaza. Un palestinien du Hamas est
monté dans le véhicule, puis
a commençé à ouvrir le feu sur le chauffeur,
espérant que le car quitte la route. A l’arrière du
bus, un jeune israélien à l’armée a tout de
suite riposté, en tuant le palestinien.
Retour au barrage d’ Erez: l’ambiance est plutôt
tendue: tout le monde écoute les informations de la radio
israëlienne qui annonce sans faire de vagues l’attentat de
ce matin, et celui de ce soir, contre le bus...et puis nous sommes
à quelques minutes du couvre feu...
La nuit est tombée. Nous passons la barrière à
bord de cette voiture à plaques israëlienne, Ariel
n’est pas très rassuré. Il vaut mieux ne pas
traîner... Nous fonçons vers le Sud. Un accident ralentit
le trafic. Les palestiniens nous regardent avec méfiance... Je
sens Ariel qui n’est pas très à l’aise. Il
faut dire que nous sommes dans une voiture israélienne, dans les
territoires occupés, la nuit, à la veille d’une
journée historique où le mouvement dur du Hamas a
prévu des attentats et appelle ses membres à la
révolte armée contre l’ennemi...
Nouveau barrage israëlien. Contrôle. Entouré de
grillages électrifiés, un camp de “colons”, ces
israëliens qui sont venus s’installer dans ces teritoires,
pour occuper le terrain. José va vivre ici, en leur compagnie. Ces gens ont la haine de
ceux d’en face. Pour eux la situation est insoluble sans un
dénouement armé. La poignée de main
“historique” n’est que du vent. Tous armés, il s’organisent en bandes et assurent des
permanences pour faire la ronde autour de l’enclos, cette surface
de terrain hautement grillagée qui entoure les maisons. Chaque
colonie a le support d’une présence militaire qui en
contrôle théoriquement l’accés.
Passage à l’Hôtel Palm Beach. Coup de fil en France…
Retour à Gaza. L’échange de voitures. Retour
à fond dans la nuit. On roule toujours vite dans les pays en
guerre. Le couvre feu. Gaza déserte. La Mercedes fonce dans les
rues vides.
Au PC, nous faisons le point sur la journée de demain. Je vais
voir les pêcheurs demain matin, qui doivent partir en mer avec
des drapeux palestiniens...
Je m'écroule épuisé sur un mauvais lit. Au loin, j'entends ces quelques voix qui résonnent dans le bâtiment, et la mer sur les galets, pas très loin.
Lundi 13 Septembre
Le Jour du drapeau...
Lever à 3 heures et demie du matin…
J’ai dormi en pointillé. Du bruit au milieu de la nuit,
des voitures qui ont klaxonné en bas de l’hôtel.
Briefing à 4 heures, au PC. C'est le grand jour. Je pars voir
les pêcheurs, j'ai rendez vous avec Abdil Karim. Les premières lueurs de l’aube font distinguer la mer,
derrière ces grillages haut de trois mètres, partout, au
bord des plages. L’accès à la mer est contrôlé par les israéliens.
Le pêcheur, c'est lui : Abdil Karim Abou Hassira. Il a 46 ans. Il
est père de 5 enfants, dont deux ont été
bléssés pendant l’intifada. Il a été
arrété deux fois, et mis en prison, pour ce que les
israéliens appelent “détention administrative”.
Depuis 16 ans, il pêche à Gaza. Dans son travail, Abdil s’occupe de la coordination des bateaux,
des questions de logistique. Filets, débarquement des poissons,
approvisionnement en glace, etc...
Politiquement, c’est un sympathisant de l’OLP, il est
proche des jeunes du Fatah. Par son activité politique, il est
respecté par une
grande partie des habitants de Gaza city. Il a fait partie du groupe
qui a organisé la manifestation de l’après midi.
Nous nous approchons à grands pas d'un immense grillage qui
barre l'accès à la mer. Pourquoi marchent ils si vite ?
En fait, je comprends - un peu en retard - qu'il y a seulement un petit
créneau horaire attribué aux palestiniens pour rejoindre
leurs bateaux.
Nous étions en retard, mais maintenant il faut attendre. Les
vérifications commencent. Les militaires, en face, ont ouvert
une petite porte dans le grillage. Contrôles. Sans
ménagement. Regards tendus et féroces, des deux
côtés. Les jeunes soldats israëliens ont le doigt sur
la gachette. Ils transpirent sous leur casque militaire. Les
pêcheurs palestiniens aux visages burinés leur font face.
Abdil vit cela comme une humiliation. Tous les jours, se faire
contrôler ! Par un militaire qui pourrait être son
fils…
Le gamin en treillis nous a laissé filer. Nous voici sur la
plage. Nous embarquons sur une mauvaise chaloupe à moteur, dans
une sorte d'empressement. Les hommes crient.
Un peu au large - il y a une limite maximale, surveillée par les
israëliens - j'ai l'impression que mon "client" fait semblant de
pêcher. En fait c'est un bon moyen que les palestiniens utilisent
pour communiquer entre eux. Pour se passer les infos. Nous nous
approchons successivement de plusieurs bateaux qui tirent leurs filets,
en remontant quelques beaux poissons. Un peu plus loin, il y a cette
vedette israëlienne qui nous
surveille. Abdil leur jette des regards hargneux, de temps en temps.
Vers le milieu de la journée, nous rentrons au port.
Il y a d'interminables dicussions à tout propos, auxquelles je
ne comprends rien, car l'étudiant traducteur ne peut pas me
traduire tout ! Il le fait seulement lorsque je filme, ce qui est
déjà un travail énorme…
J'ai tout à coup la sale impression que je vais claquer
dans la minute. Classique : symptôme d'hypoglycémie ! je
connais par coeur. Il est presque une heure de l'après midi, on
a tourné
toute la matinée en plein cagnard, et sur des bateaux, et
là, maintenant, dans cette foule, et je n'ai rien mangé
depuis
4h30 du matin… C'est pas parce que dans deux heures Yasser
Arafat et Yitzhak Rabin vont se serrer la louche qu'il faut oublier de manger ! Je commence à perdre mes moyens.
Vite ! Je traîne Abdil dans une petite rue qui m'a l'air bien
commercante. Nous nous engouffrons dans un petit restaurant pour y
dévorer -
assis sur des chaises plastiques, le dos en sueur collé au
carrelage blanc - un kebab et quelques sucreries.
Dehors il y a comme des silhouettes surexposées qui passent
presque au ralenti dans la poussière et le vacarme de la
rue. Vais je tenir le coup ?
Le kebab arrive, avec son coca tiède sorti du congélateur
débranché. Je revis, comme par miracle. Ca tient à
pas grand chose… Un kebab, et c'est reparti !
Plein de forces. Il en faut. Je suis "décroché" au talkie
walkie par le PC : on m'envoie à Rafah - à la
frontière égyptienne, au sud de la bande de Gaza - suivre
le travail quotidien d'un groupe de femmes qui s'occupent des enfants
martyrs. Mon traducteur me rejoint, on s'engouffre dans la BMW pourrie.
Nous longeons le Check Point de Rafah pour débouler après
deux nouveaux contrôles - dans une sorte de bâtiment
à moitié délabré. Cà sent l'intox,
mais pourtant je filme. En sachant que la scène ne sera jamais
montée. Là aussi, les discussions sont interminables.
Plusieurs femmes me tirent par la manche en permanence, en hurlant.
Epuisant.
Un peu plus tard dans l'après midi, j'ai retrouvé Abdil
à Gaza, et maintenant je suis collé à ses basques
: il
organise la manifestation de l'après midi. Ce mec a l'air
infatigable. Il faut dire qu'il est porté par les
évènements.
Progressivement, nous nous sommes approchés des quartiers nord.
Ici, la tension devient plus perceptible. Abil est rentré avec
ses amis dans un bar. Il y rencontre des
personnalités du Fatah. C'est ici qu'il a choisi de vivre ce
moment historique. Un petit bar pourri, à la peinture jaune qui
s'écaille,
au mobilier disparate, sur le côté nord d'une rue en
pente, envahie de poussière.
Discussion animée, puis tout
se calme tout à coup. Le barman monte le son, les regards se
tournent vers le petit écran. A la télévision, Bill Clinton réunit les mains de Yasser Arafat et d'Yitzhak Rabin. Une poignée de main historique. Une image qui fait le tour du monde. Ici, elle a un impact vraiment particulier ! Elle symbolise quand même - à ce moment là - un formidable espoir de paix.
En quelques minutes, la
ville gronde de clameurs. On entend monter comme une rumeur qui envahit
les rues, qui se propage le long des façades. Impressionnant.
Naïveté ou optimisme ? Rien de tout cela. Plutôt
l'envie dy croire, en sachant que c'est pas gagné… Dans
le bar, Abdil regarde un peu ses chaussures, comme s'il voyait
instantanément tout le travail qu'il reste à faire, cette
longue route qu'il sait d'avance semée d'embûches…
J'ai l'impression de vivre ce moment d'histoire dans uune sorte
d'espace temps décalé. Comment dire ? Tout se
mélange. Cette image irréelle d'une paix
virtuelle, et la réalité du terrain. Je ne peux pas
être plus "dedans" à cet instant précis !
Une contre manifestation est
organisée au centre ville par les gens du Hamas. Une foule
compacte et hargneuse s'approche à pas
décidés. La voici qui tourne le coin de l'avenue et
s'approche. Abdil a
maintenant quitté la pièce principale du bar pour
s'engager dans un petit couloir, qui mène à
l'extérieur, côté cour. Je le sens tout à
coup très nerveux. Il parle en arabe avec des gens du bar. Je
lui demande de traduire. Il ne le fait pas… Où est mon
étudiant - traducteur ? Ah oui, il a
été "décroché" par le PC pour quelque chose
de plus "important". Bien dommage…
Abdil file au fond d'une sorte de cour entre les immeubles.
Entourée de murs assez hauts… Je veux dire
infranchissables. Oui, Abdil a regardé comme moi si on pouvait
s'échapper en cas de grabuge. En vain. Regards à la
ronde. Nous sommes coincés. J'insiste pour savoir ce qui se
passe.
- "Restez là, et tout ira bien", me dit il…
La manifestation passe dans la rue, juste devant le bar.
J'aperçois des glissements d'hommes en djellabahs, et certains
manifestants qui brandissent des armes. J'aimerais bien voir de plus
près, mais c'est trop dangereux. J'ai juste les hurlements, et
les pas qui claquent dans la poussière. La tension retombe d'un
coup, quand le violent cortège s'éloigne.
Plus tard, en fin d'après midi, je quitte Abdil
Karim, reparti chez lui, voir sa famille. Je me saoule de
l'ambiance de la ville en fête. Des centaines
d'hommes circulent dans les rues, en chantant, en hurlant. Les gamins
filent entre les voitures dont les passagers brandissent des photos
d'Arafat. La poussière, un peu partout.
La nuit tombe. En me faufilant entre les planches disjointes d'une
palissade de chantier, je suis monté au dernier étage
d'un
immeuble en construction. Ce genre d'édifice qu'on trouve dans
tout le Moyen Orient. Pour m'échapper à la foule.
Je sature, il me faut prendre un peu de distance.
Je fais quelques beaux plans larges de la ville dans cette
lumière crépusculaire, ce moment magique où les
lumières artificielles viennent s'équilibrer à la
lumière naturelle de la tombée de la nuit. Puis je pose
la caméra. A plat ventre, sur le toit en béton brut de
l'immeuble en construction, je me régale de ces moments à
l'écart du vacarme ambiant.
En bas, les cris de joie, les hurlements de la foule.
Là bas, il y a la mer, derrière les grillages…

© Laurent Langlois
Mardi 14 Septembre
Nous avons quitté le hall du "Cliff Hôtel", en bord de
mer. Dans la cour, en attendant les voitures, j'ai
ramassé au pied du grillage un petit cadenas rouillé, bloqué en position ouverte. Mon seul
"souvenir" de Gaza, en forme de symbole. Un cadenas ouvert… Un
peu ridicule, je sais.
Il a fallu tout recharger le matériel dans les voitures.
Nous passons le barrage d'Erez dans l'autre sens. Amère
sensation de quitter ces palestiniens qui vont rester là, alors
que nous partons - nous - une fois de plus.
Au beau milieu du Check Point, il y a ce gamin en fringues sales qui
s'approche de la voiture, le visage tendu, avec une cagette pleine de
dattes. Je baisse la vitre pour lui en acheter une poignée. De
belles dattes fraîches. Je n'en ai jamais mangé d'aussi
bonnes de ma vie…
=:-)