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Antarctique - "Chassé-croisé"


L’expédition Transantarctica


Le 28 avril 1989, l'équipe du Docteur Jean Louis Etienne partait pour la plus grande traversée jamais réalisée du continent Antarctique. Née de l'incroyable rencontre de Jean-Louis Etienne et de Will Steger sur la route du Pôle Nord le 9 avril 1986, cette expédition extraordinaire a nécessité deux années d'intense préparation. 6300 kilomètres parcourus en ski, 213 jours de marche, derrière les chariots tirés par des chiens de traîneau par des températures qui descendent à –49°C
C’est ce qui attend l’équipage de Jean-Louis Étienne, accompagné de 5 autres explorateurs : un Américain, un Russe, un Britannique, un Japonais et un Chinois. Le but de cette mission est essentiellement symbolique. Il s’agit de faire connaître la particularité de l’Antarctique qui vient d’être déclarée “terre universelle”. Un traité a été signé qui interdit jusqu’en 2045 à tout pays de s’approprier ce territoire et de l’exploiter. Les scientifiques du monde entier peuvent y effectuer des recherches en toute tranquillité. Il faudra 7 mois à l’expédition internationale guidée par Jean-Louis Étienne pour rejoindre la côte est.

L'Antarctique : régulateur planétaire

Situé à 1000 km de la pointe australe de l'Amérique, à 2500 km de l'Australie et à 4000 km du Cap de Bonne Espérance, l'Antarctique est un continent de 14 millions de km2, soit deux fois la superficie de l'Australie, 1,5 fois celle des USA ou 23 fois celle de la France. Le continent austral renferme un volume de glace d'environ 30 millions de km3, soit 90% de la glace de notre planète, résultat d'une accumulation de quelque 100.000 ans de chute de neige.
 Il y a 150 à 160 millions d'années, un super continent appelé Gondwana se trouvait dans l'hémisphère sud. Au bout de 30 millions d'années, le Gondwana s'est fracturé et a donné naissance à l'Afrique, à l'Amérique du Sud, à l'Inde et à l'Australie qui se sont déplacés vers le nord, et à l'Antarctique. Celui-ci a dérivé lentement et, il y a 60 millions d'années, s'est centré sur le Pôle Sud. Il y avait alors un climat tempéré et relativement homogène sur tout le globe. Au cours des 30 millions d'années qui ont suivi, le continent blanc s'est trouvé isolé, par un courant marin circumpolaire entraînant un processus de glaciation. Par la suite, il a influé sur le climat planétaire et, partant sur l'évolution et le développement des espèces vivantes.

Un continent voué à la recherche

Couvert à 98% de glace, l'Antarctique constitue un véritable laboratoire pour les chercheurs du monde entier. Ce continent est en quelque sorte la mémoire du climat. En prélevant des carottes glacières à plus de 2 km de profondeur, les glaciologues étudient la composition de notre atmosphère depuis 150.000 ans. On y décèle la trace d'anciennes éruptions volcaniques et, surtout, l'enregistrement de l'impact des activités humaines pendant les deux derniers siècles. Des études conduites à partir de ces observations permettront de mieux prévoir l'évolution du climat.

En 1957-58 a eu lieu l'Année Géophysique Internationale, effort de recherche sans précédent déployé par toutes les grandes nations. A la suite de cette coopération fut rédigé, puis ratifié en 1961, pour 30 ans, le Traité de l'Antarctique. Son objet est la protection de l'Antarctique de la convoitise des nations (qui avaient déjà revendiqué des portions de l'Antarctique), ainsi que des fléaux modernes (guerre, pollution). La clé de voûte de ce Traité est l'article 4 qui reconnaît la copropriété mondiale de l'Antarctique, ce qui signifie que ce continent appartient à tous. Ce traité a rendu possible que le continent blanc soit resté pendant 30 ans une terre de paix et de recherches scientifiques où même au temps de la guerre froide, toutes les nations ont toujours vécu en bonne harmonie.. Plus récemment, un grand danger a été évité pour l'Antarctique, grâce à un éclair de lucidité des dirigeants mondiaux, et surtout grâce à la mobilisation de la population mondiale. A la suite de la tentative de certaines nations de faire adopter la Convention de Wellington, qui autorisait sous conditions des recherches minières, fut adoptée une suite au traité garantissant la protection totale de l'Antarctique pour une durée de 50 ans.

A l'heure actuelle de nombreux pays ont établis des bases scientifiques en Antarctique, et surtout dans les îles qui l'entourent. Ces bases ont pour objet la recherche scientifique dans tous ses aspects (géologie, géomagnétisme, glaciologie, médecine, biologie, météorologie, etc.).






Lundi 26 Février 1990

 La porte de l'avion s'est ouverte sur une vision hallucinante. Nous avons quitté l'Afrique en sandales, sous la pluie chaude des tropiques. Ici, l'air glacial court sur une immense étendue de neige, à perte de vue.
 Premiers pas.
 A l'horizon, des dizaines d'icebergs, déjà bloqués dans la banquise. Quelques sommets émergent de la gangue de glace. Incroyable sensation d'avoir posé le pied sur le septième continent. Le gros porteur Illiouchin 76 est posé sur la neige, comme un énorme insecte qui n'aurait pas sa place, ici, dans cet univers de glace.
 L'avion assure la relève du personnel des bases soviétiques en Antarctique. La 34 éme Expédition Antarctique Soviétique se termine, la 35 éme expédition descend de l'avion. Embrassades chaleureuses… chaque expédition dure un an !!

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 Ceux de la base ont presque tous la barbe… une chapka, un ensemble en cuir marron et des lunettes d'aviateur des années 50 pour se protéger du vent. Aux pieds, des bottes, intérieur en peau de chien, extérieur en peau de mouton, semelles en feutre, qui montent au dessus du genou.
 Nous embarquons à l'arrière d'un de ces véhicules à chenilles sortis tout droit d'une autre planète.

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 Vadim est chauffeur de ce type d'engin adapté à l'Antarctique. Le visage buriné par le soleil et le vent, il a une petite stalactite de glace dans la barbe. Une demie heure de voyage dans un bruit infernal, en suivant les balises plantées dans la neige tous les dix mètres, le long de la piste.

 Molodezhnaya est la plus grosse base soviétique, construite au bord de la mer. une vingtaine de bâtiments sur pilotis sont reliés entre eux par des chemins de câble eux aussi sur pilotis. Tout est prévu pour des conditions climatiques extrêmes.

 Nous sommes en automne, il fait - 15°C. Mais bientôt l'hiver avec ses grands froids et le blizzard, pouvant atteindre 200 km/h.
 Un bâtiment central, avec cuisine, réfectoire, salle de cinéma, ping-pong, et différents jeux. Autour les bâtiments dortoirs, une infirmerie-hôpital, un bâtiment radio, une lingerie-sauna, et bien sûr les bâtiments scientifiques. Un peu à l'écart un énorme groupe électrogène tourne en permanence, alimenté par d'énormes cuves de carburant situées au bord de la mer.

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 Côté calotte glaciaire, il y a un petit aéroport, avec trois bimoteurs à hélices (modèle Illiouchin 14) démontés : les pièces permettent d'en maintenir un en état de vol (la météo capricieuse et les conditions de vol démentes expliquent les nombreux accidents…).

 Molodezhnaya est en quelque sorte la capitale de l'Antarctique Soviétique. Cent soixante dix personnes vivent ici, uniquement des hommes.
 L'activité, c'est l'observation et la recherche scientifique : Météorologie, Ecologie, Médecine, Géologie, et Etude de la haute atmosphère (par lancer de roquettes météo), ce qui est la spécificité de la base.

Mardi 27 Février

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 Je me suis réveillé sans savoir vraiment où j'étais (cela fait une semaine que j'ai quitté Moscou pour l'Antarctique, via Léningrad, le Yémen, et une longue escale au Mozambique…).
 Juste en face du bâtiment, il y a un poteau indicateur des distances pour les différentes villes d'Union Soviétique : "Moscou = 14000 kms, etc… et puis au bas, une inscription qu'un soviétique me traduit : "Toilettes des femmes à 12000 kms"…

 Aujourd'hui mauvais temps. le vent glacial pousse la neige à l'horizontale, les congères se reforment vite. personne ou presque à l'extérieur, les hommes dorment dans les bâtiments où ils travaillent pour éviter au maximum les déplacements.

 Nous sommes invités pour le café chez Vladislav PIGUZOV, le chef de la 35 éme expédition Antarctique Soviétique, responsable de la base. Dans son bureau spartiate, une radio onde courtes, un téléphone, des tasses et du sucre, et, sur le bord de la fenêtre, un petit liseron desséché, qui a dû fleurir cet été…
 Vladislav nous parle de ses hommes, tous volontaires. Civils et techniciens, pour la plupart. En tous cas, pas de militaires, contrairement aux bases américaines (par exemple Mac Murdo, à l'opposé du continent, fait travailler des marines pour tout ce qui ne concerne pas la recherche scientifique).
 Pas de femmes, et c'est dur.
 Dans les chambres, sur les lieux de travail, dans les couloirs, partout des posters porno. Et dehors, toujours le mauvais temps.

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 Ici, il fait - 45°C en hiver. Ce n'est rien à côté de Vostok, la base soviétique installée au Pôle Sud Magnétique. Vostok est à 3500 mètres d'altitude, posée sur la calotte glaciaire. Les bâtiments s'enfonçent inexorablement dans la glace. Le record absolu de température y a été enregistré, à - 89°C !!! Les avions ont des difficultés pour se poser sur la glace et décoller, et les relèves des équipes sont difficiles. Souvent la base est coupée du reste du continent pendant plusieurs mois.

 Quand on leur pose des questions sur l'enjeu économique de l'Antarctique, les soviétiques d'ici répondent en disant qu'il faut faire très attention au développement. Si quelqu'un commence l'exploitation minière, par exemple, ce sera un engrenage définitif et catastrophique.
 Le continent antarctique est le seul endroit où cohabitent des nations très différentes sans armes et sans conflit. Il faudrait le déclarer Parc Mondial. une sorte de réserve internationale.

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 Mais les avis personnels des soviétiques de la base de Molodezhnaya ne sont bien sûr pas forcément l'avis des pouvoirs des grandes puissances. Ici les scientifiques se battent pour préserver un équilibre écologique fondamental , qui, s'il est rompu, serait catastrophique pour la planète entière. Mais l'inertie est énorme, et les positions des gouvernements pas si claires.

Mercredi 28 Février

 Je dois rejoindre Mirny, à 2300 kilomètres de là. Mais les conditions météo doivent être bonnes sur tout le parcours.
 L'Antarctique est le lieu d'où partent les cyclones. Ils balayent les côtes, en tournant autour du pôle, puis s'éloignent, prévus et suivis par les différentes bases qui se communiquent les informations. Le cyclone qui soufflait sur Molodeszhnaya il y a deux jours est maintenant sur Mirny.

 D'une base à l'autre, les soviétiques utilisent des petits avions Iliouchin 14 rafistolés, dont la moitié des sièges ont été condamnés pour installer d'énormes réserves de carburant. Interdit de fumer…
 Des centaines de kilomètres de vol sans instruments, au dessus de la calotte glaciaire déserte, en évitant les tempêtes. des conditions de vol très délicates, la mise en jeu de vie humaines.
 Pour l'instant il faut peser les bagages, car l'avion a des limites de sécurité infranchissables. Tout le poids gagné sur les bagages sera remplacé par du carburant supplémentaire !!! Il vaut mieux augmenter la marge de sécurité au maximum. En effet un vent de face plus fort que prévu augmenterait la consommation, et un atterrissage en catastrophe sur la calotte glaciaire…
 J'ai visité le cimetière de la base : sur toutes les tombes, il y a une croix avec un sommet une petite hélice d'avion qui tourne dans le vent, face à la mer…

 Pour l'instant, impossible de décoller. Il fait trop mauvais.
 Lunch au réfectoire, avec du poisson, du riz, de la viande, et toujours ces énormes cornichons à la russe. Un vrai délice.

 Je rencontre Alex et Igor, opérateurs radio dans la base. Ils dorment à deux dans une minuscule chambre dont les murs sont couverts d'affiches et de posters : Rambo, des filles à demi nues, et des photos porno, vieillies, jaunies. invraisemblable cafarnaüm, où le thermoplongeur côtoie une radio onde courte, le miel d'Ukraine, les gâteaux, la confiture, une petite sculpture faite de tôle pliée, la photo de leur femme… et des enfants. Aussi la photo de la voiture qu'ils ont acheté, et qu'ils partagent, à cinq, en URSS.

 Alex a établi par hasard une liaison avec un opérateur radio d'une base australienne, il y a trois mois. Quand il lui a demandé en morse s'il avait une femme, on lui a répondu : "No, a boyfriend !". Alex a répondu que c'était bizarre pour lui d'être homosexuel. Réponse : "Hi, Hi, Hi…" sur le téléscripteur, puis : "je suis une femme !"
 Depuis, ils correspondent de temps en temps, par courrier aussi (les lettres partent de la base australienne de Davis, en bateau jusqu'en Australie, puis en avion en URSS, puis de Moscou à Léningrad où elles partent sur un bateau au Mozambique, enfin un brise glace les apportent à Molodezhanaya…), et elle lui a envoyé une photo pour le Nouvel An. Ils ne se rencontreront certainement jamais…

 Fin d'après midi. Beau temps relatif.
 Nous apercevons de nouveau les icebergs bloqués dans la banquise. A deux kilomètres environ, des éléphants de mer s'ébattent sur le "pack", minuscules silhouettes donnant tout à coup le sens des distances, la réalité de ce paysage gigantesque.
 Sauna : atmosphère irrespirable pendant les premières minutes, atmosphère qui contraste avec la température extérieure. Sueur, buée, corps nus des soviétiques de la base. Nous nous aspergeons mutuellement avec de grosses bassines émaillées remplies d'eau bouillante. Plaisir sans nom d'être étendu sur les lattes de bois brûlantes du sauna. Transpiration. un bouquet de chêne pour se fouetter la peau. Le corps qui se détend. Bonheur.


Jeudi 01 Mars

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 Finalement, nous sommes partis. Depuis trois heures nous survolons la calotte glaciaire à bord de cet Iliouchin 14, bimoteur à hélices. Altitude de vol : 2300 mètres. Immense étendue étincelante à l'infini, avec à droite, à l'horizon, des montagnes verglacées qui émergent.
 Pendant les premièrs kilomètres de vol, la liaison avec la base se fait par morse, grâce à un petit appareil en bakélite et métal installé sur une petite tablette repliable : dès qu’on est hors de portée, quand il reste environ 2200 kilomètres de vol, l’opérateur morse replie le bazar et se transforme en cuisto. Il faut préparer les patates chaudes, qui seront servies avec les gros cornichons. Je me gave de thé brûlant.
 A l’arrière, les toilettes sont constituées d’un seau gelé, on est en équilibre entre les fûts de kérosène. Il fait - 20 dans la queue de l’avion, c’est assez sain d’ailleurs.
 Le copilote fait la navigation au sextant ! Ils ont remplacé les hublots de l’avant par des bulles en plexiglass, qui permettent de sortir littéralement de la carlingue en vol, pour viser le soleil…

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 Après un passage à 3600 mètres d'altitude, pour éviter une formation nuageuse, l'avion s'approche de la côte, découvrant une théorie d'icebergs tabulaires, éparpillés sur l'océan, et entourés de petites miettes de glace, autant de points brillants dans le bleuté sombre de l'eau.
 A l'avant, dans le minuscule espace réservé à la cuisine, un des soviétiques fait cuire des patates et prépare du thé. Il me parle des conditions de vol démentes sur l'ensemble du septième continent. Les fenêtres météo sont rares, les vents violents souvent imprévisibles, on vole à vue, sans instruments…

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 Il y a quelques jours, un avion qui devait rejoindre Vostok - la base installée au pôle sud d'inacessibilité - n'a jamais atteint son but… L'iliouchin s'était posé en catastrophe sur la calotte glaciaire, dans le mauvais temps, et avait cassé son train d'atterrissage. Température : - 30° C…
 Il faut dire que pendant les dernières dizaines de kilomètres du trajet entre la côte et la base, l'avion se déplace au ras de la glace.
 Une opération de secours (avion parti de la base de Mirny + hélicoptère Sikorsky parti d'un brise glace naviguant pas très loin) est parvenu à retrouver l'appareil dans le mauvais temps ! De l'hélicoptère, on a d'abord largué des sacs de vivre que le commandant de l'Iliouchin a pu retrouver dans la tempête.
 Il faut réagir vite, car en quelques jours, dans la tempête, la moindre aspérité est recouverte d'une gangue de glace, et tout disparaît.

 Finalement, profitant d'une accalmie, l'équipage a pu être récupéré par l'hélicoptère. Mais le mauvais temps s'est à nouveau levé, sur le chemin du retour. Pour rentrer à Mirny, l'avion guidait l'hélicoptère dans la nuit et la tourmente. Entre temps le brise glace a cassé la banquise, pour venir se mettre en position dans l'axe de la piste d'atterrissage, tous phares allumés, pour permettre à tout le monde de se poser. Les hommes de la base ont posé des bidons pleins d'huile en flamme pour éclairer la piste. Hélicoptère, puis avion, se sont finalement posés sans encombres. Bilan : tout le monde sain et sauf, et la vodka qui coule à flots pendants deux jours !!!!

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 Pour l’instant, à une heure de vol de Mirny, nous avons fait demi tour, il fait trop mauvais !
 Nous volons en sens inverse pendant environ une heure et demie, puis, au milieu de nulle part, nous commençons une descente.
 L’ambiance a changé à bord. L’équipage est sollicité pour repérer un endroit où nous devons se poser. Assez vite, tout le monde s’y met. Collés aux hublots, nous fouillons des yeux cet immense désert blanc encombré de nuages.
 Le pilote fait ce qu’il peut, mettant tour à tour les gazs, ou au contraire laissant tout aller pour perdre de l’altitude, et ainsi espèrer se glisser entre les bancs de brouillard. Il y en a beaucoup du brouillard, justement, alors nous faisons de grands cercles pour essayer de voir quelque chose. Bien sûr, aucune liaison avec le sol.
 De temps en temps, la couche de nuages se déchire et laisse entrevoir d’immenses icebergs craquelés, échappés d’une sorte de fjord. Nous cherchons à nous poser au fond d’une baie, protégée des vents catabatiques. Mais pour l’instant, nous sommes repartis vers le large, et le pilote refait un passage dans le secteur où est supposé être la piste…
 Entre deux bancs de brume, au ras des icebergs, j’aperçois tout à coup une trace. Je crie dans la carlingue. L’information est traduite en soviétique par tout l’équipage qui hurle, l’avion vire de bord, à droite, puis très serré à gauche. Nous sommes à quelques mètres au dessus de la neige. Le pilote fait encore un demi tour pour mettre l’appareil face au vent, et nous nous posons in extremis, entre deux bancs de brouillard. Dans une demie heure, il fait nuit…
 Je ne sais pas comment le pilote a fait pour voir le “terrain”.
 Pas mécontents de sortir, nous faisons quelques pas dans la neige fraîche. Il y a une petite cabane en bois, avec deux soviétiques, qui sont en charge d’entretenir une piste d’atterrissage d’urgence, celle sur laquelle nous venons de nous poser. Nous les félicitons pour leur constance !
 Les russes vont fêter cet “atterrissage” chez eux, à grands renforts de vodka.
 Il faut dire qu’il fait - 25°C. Engoncés dans les duvets, nous passons la nuit dans la carlingue de l’appareil, bien sûr sans chauffage.

Vendredi 02 Mars

 Le lendemain, nous arrivons in extremis à Mirny.

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 La base soviétique de Mirny est au bord de l’océan, sur une sorte d’avancée rocheuse. Elle surplombe la banquise.
 C’est un des derniers endroits où la banquise se forme. Alors c’est un point logistique important.

 L’expédition Transantarctica arrive au terme de son long trajet sur la calotte glaciaire antarctique.
 Après 6 mois d’expédition, plus de 6000 kilomètres sur la calotte glaciaire, les 6 membres de l’expédition Transantarctica rejoignent la base.
 Emotion de ces six hommes qui ont passé tout ce temps sur la calotte glaciaire. Les derniers jours furent parmi les plus difficiles, les conditions météorologiques étant terribles à l’approche de la côte. Une incroyable leçon d’endurance et d’entraide.

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 Nous retransmettons l’évènement sur les chaînes de télévision du monde entier. Il s’agit de la première liaison télé par satellite depuis le continent antarctique. Nous avons apporté la “mouche”, une mini-régie de direct, couplée à une antenne satellite, l’ensemble étant conditionné en fly case, et donc transportable partout facilement. Le signal vidéo et son part de Mirny, où nous pointons un satellite indien, géostationnaire dans l’océan indien, puis redescend sur New Delhi, est renvoyé sur un satellite soviétique, et il atteint Moscou. De là, il est renvoyé sur les autres pays par la chaîne plus traditionnelle d’échanges d’images…
 Je filme l'arrivée en direct, et nourrit les news avec de petits reportages, puis nous assurons 24 heures d’émissions presque non stop, à destination de la France, du Japon, de la Chine, de l’URSS, de la Grande Bretagne, de l’Italie, de la Nouvelle Zélande, de l’Australie, et des Etats Unis.


Lundi 05 Mars

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 Un temps magnifique aujourd’hui. Epuisés, nous émergeons vers midi, au moment où la caravane terrestre qui assure la relève des bases soviétiques à l’intérieur du continent arrive. Le convoi de véhicules à chenilles a parcouru plus de 1200 kilomètres sur le continent, et zigzagué entre les crevasses sur la dernière partie du parcours, quand la calotte glaciaire redescend vers la côte. Pas d’accident. Juste bloqués par la tempête des jours derniers.
 Les gars de la base ont préparé le gâteau traditionnel, et la vodka.


Mardi 06 Mars

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 De nouveau le mauvais temps.
 Dans la tourmente, je rejoins la chambre, dans l'autre bâtiment. Quand la tempête est forte, nous sommes obligés de nous accrocher à des mains courantes qui longent les bâtiments.
 Alerte 2 : il faut sortir accompagnés, en se tenant par la main.
 Quand c‘est l’alerte 3, il faut sortir en se tenant trois par trois.
 Nous sommes obligés de passer des contrats pour aller manger, dans l’autre bâtiment. “Dis, tu viens manger avec moi ?”
 L'an dernier, un gars s'est fait embarqué par le vent en débouchant à l'angle du bâtiment. Emporté par la bourrasque, il a roulé dans la neige. Disparu dans la tourmente, le vent l'a traîné jusqu'à la mer…

 Au large, le professeur Zubov (navire soviétique qui assure la liaison entre l'Antarctique et l'Australie - 10 jours de navigation) vient d'arriver, et mouille au milieu des icebergs dans la tempête.
 Nous tentons un décollage de retour, mais une crevasse de deux mètres de large a coupé la piste de décollage, interdisant tout voyage de retour pour le moment.

Mercredi 07 Mars

 Les choses s’accélèrent tout à coup.
 A midi, profitant d'une vague rémission dans la tempête, nous nous engouffrons dans l'avion. Malgré la crevasse, et le mauvais temps, l’équipage a décidé que c’était le moment pour rentrer sur Molodezhnaya.
 Je me bloque à côté du hublot. Emotion : nous avions de la neige jusqu'aux genoux… Les hommes de la base ont dammé la piste, mais bon…!!!
 L'appareil s'élance. Mirny en travelling. Nous rasons les icebergs…

Jeudi 08 Mars


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 Molodezhnaya.
 Un soviétique qui reste là a sorti son accordéon, et les notes de musique dans le froid perçant du petit matin ont quelque chose d'étrange. Embrassades.
 Nous rentrons avec les soviétiques de la base qui ont passé un an sur ce continent inhumain. Chassé croisé. Ils rentrent à Moscou via l'Afrique et le Yémen.
 Long voyage de retour vers l’Afrique.
 Pendant la descente sur Maputo, au Mozambique, dans ce gros porteur Iliouchin 76 qui ramène à Moscou les hommes de l'Antarctique, alors qu'on échangeait fourrures et gore-tex contre shorts et sandales, un gars est passé parmi nous. Il avait un sac plastique et nous a distribué à chacun un préservatif…
 Les russes vont rester là une semaine. Escale technique obligatoire avant de retrouver les familles.
 De mon côté, j'affrête un avion privé avec un journaliste italien, un petit 6 places. Nous partons vers l'Afrique du Sud.
 Trois heures de vol au dessus de la forêt tropicale et des zones de brousse, en zigzaguant pour éviter les zones de guérilla, pour se poser au milieu des 747 sur l'aéroport de Johannesbourg…
 Dans la nuit, vol retour sur Paris.
 Le surlendemain, je repars dans le grand nord canadien.

 =:-)



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