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L'usage du monde



  "J'ai passé une bonne heure immobile, saoulé par ce paysage apollinien. Devant cette prodigieuse enclume de terre et de roc, le monde de l'anecdote était comme aboli.

 L'étendue de montagne, le ciel clair de décembre, la tiédeur de midi, le grésillement du narghilé et jusqu'aux sous qui sonnaient dans ma poche, devenaient les éléments d'une pièce où j'étais venu, à travers bien des obstacles, tenir mon rôle à temps. "Pérennité, transparente évidence du monde, appartenance paisible… " moi non plus, je ne sais comment dire ? car, pour parler comme Plotin :
Une tangente est un contact qu'on ne peut ni concevoir ni formuler.
    Mais dix ans de voyage n'auraient pas pu payer cela.
     Ce jour là, j'ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s'en trouverait changée. Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut être notre moteur le plus sûr."


Nicolas BOUVIER - L’usage du monde


    J'ai mis des années à prendre la mesure réelle de ces mots de Nicolas Bouvier.
    Ces pages qui suivent, ces récits fragmentaires, vues parcellaires d'une planète immense, sont la marque de cette volonté de se faire "traverser" par le monde. Le monde dans une perspective holistique, au sens "maffesolien" du terme : se faire envahir par le monde.

    Carnets de route parcellaires. Fragments épars, qu'on voudrait rassembler, d'une vie tellement remplie… Un travail personnel sur la mémoire, double processus d'appropriation et de lâcher prise. Seul fil conducteur, le temps, qui file comme l'eau d'un torrent entre les doigts de la main. Et une certaine éthique, attitude, philosophie, qui s'esquisse en filigrane de ces textes.  Ne pas laisser de traces ? Mais que le monde n'en laisse pas non plus… Travailler le détachement. Toute histoire forte vous scotche quelque part. Mais il nous faut pourtant rester accrochés au train !
    Le voyage…
    De ces immersions temporaires dans les mondes parallèles, à la fois j'échappai à la névrose de l'effroi (quoiqu'en développant certains symptômes !), à la fois je restai prisonnier d'un double processus de dépersonnalisation et d'étrangeté, l'impression d'être un éternel voyageur.
    Voyager. Partager. Filmer. Aussi cette manie d'écrire… cette manie du carnet de route !
    Il y aurait ainsi deux manières de voyager / exister / vivre : envahir le monde, ou se laisser envahir par lui. Le clivage entre sédentaires et nomades ? Une fracture entre volonté colonialiste d'annexer de nouveaux territoires, et errance du vagabond. Face à face entre volonté de laisser une trace, et esthétique de la disparition.


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