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Habiter la Terre… Etats Unis
Earthbags 01
Bob fait sa maison en terre dans le désert Mojave.
Mercredi 16 Juillet
Le désert Mojave au petit matin.
La route 18 vers l'Est.
Nous avons dormi à Hesperia.
Quand on quitte la ville vers "l'Apple Valley", les nouvelles
constructions bordent partout la route. Toute la plaine est en
chantier. Rangées de lotissements aux maisons toutes identiques.
Grandes zones commerciales et immenses parkings. Les montagnes sont
striées de routes. Nous croisons de nombreux camions
géants. Immenses carrières. Fabriques de ciment.
Le gps est pointé sur
Lucerne Valley, une agglomération encore plus à l'est, en
direction de Joshua Tree. Petit à petit, les maisons se font
plus espacées, le désert reprend ses droits. Encore une
trentaine de kilomètres, et nous approchons d'une rangée
de montagnes. Blocs de granit semblant posés en vrac. Cà
et là des habitations masquées par des bosquets d'arbres.
Des puits pompent l'immense nappe phréatique (en train de
s'assécher d'ailleurs, pour cause pompage excessif).
Bob Lien m'a donné l'adresse
de cette parcelle de terrain. Un carré de désert, qu'il a
acheté pour pas trop cher. Une petite piste de sable doux et
nous approchons d'une drôle de maison en forme de
termitière. Bob a levé le bras. Pas loin, deux jeunes qui
bossent à côté d'une bétonnière.
"- Bonjour ! Tu es Roland ?
- Oui c'est çà. Merci d'avoir répondu ok pour notre visite.
- Oh je suis
très honoré d'avoir la télévision
française chez moi. Enfin des visiteurs ! Comment avez vous fait
pour trouver ? C'est un endroit perdu ici…!"
L'homme est en train de lisser avec
du mortier l'extérieur de sa maison, construite en sac de terre.
Il construit selon les plans d'un architecte iranien, qui a
développé un système original et basique en
même temps : des sacs en plastique remplis de terre, et
montés en forme de voûte. Solidarisés par du fil de
fer barbelé…
Nous entrons dans cette étrange maison en boudin de terre. A droite un premier espace commun.
"- J'ai eu
envie d'une maison ronde. Vous savez, je crois que les formes des
maisons ont une influence sur ce qui se passe à
l'intérieur.
Ce n'est
sûrement pas par hasard que nombre de sociétés
traditionnelles utilisaient le cercle. Ils rattachaient cela à
un sentiment religieux.
Je suis d'aucune religion, mais je crois qu'il y a quelque chose qui tient du sacré là dedans."
Bob Lien est professeur de
sociologie. Il en a eu ras le bol d'une vie trop urbaine, et a
décidé de construire sa maison ailleurs.
"- La pression
de ces grandes villes est trop grande. il y a eu un moment où je
ne supporte plus tout cela. Et il y a trop de violence. Alors j'ai
décidé de venir construire ma maison dans ce
désert. Vous avez vu ces grandes zones commerciales, et ces
lotissements en venant ici !? Vous croyez que ce sont des endroits pour
habiter, vraiment !? Non, ce n'est pas possible."
Nous nous approchons de ce qui fait office de fenêtre.
"- Là,
j'ai mis des coffrages en bois, et on a construit les murs. Et quand on
a enlevé les coffrages, toute la lumière est
rentrée à l'intérieur. C'était magnifique.
je me suis rendu compte ce jour là la chance. Regardez les
montagnes ! Il y a un peu de brume aujourd'hui, mais c'est magnifique.
L'hiver, il y a la neige qui vient blanchir les sommets, c'est superbe."
Nous montons sur le "toit" de la
maison. On peut facilement circuler sur ces formes douces dans
lesquelles Bob a laissé apparente une partie de la structure, ce
qui fait de petits escaliers. Du sommet de la maison, on voit bien la
structure circulaire. Bob travaille avec ses deux enfants. Sarah a une
vingtaine d'années, elle est en train de plâtrer le
"piège à vent" sorte d'oreille qui capte le vent dominant
pour venir ventiler l'intérieur de la maison.
"- Je ne sais pas trop comment çà marche, mais il paraît que çà fonctionne."
Je retourne voir Bob, qui est en train de finir de lisser une portion du toit de la maison.
"- C'est un grand plaisir de faire çà, c'est vraiment du plaisir. Et c'est important."
Je ne peux m'empêcher de
mettre la main à la pâte. Le mortier a séché
(très vite, avec ce soleil - la température est de
38°C aujourd'hui). Bob me file une paire de gants, je commence par
lisser à l'éponge le mortier étalé
grossièrement sur le mur. Nous discutons et travaillons en
même temps. C'est vrai que j'ai toujours trouvé
agréable de lisser le mortier. Bob en rapporte une brouette. Il
se sert beaucoup de ses mains, pour l'étaler sur le mur.
"- Tu sais
j'apprend au fur et à mesure. Je n'ai pas fait de formation
particulière. Mon voisin est maçon, il est venu me
montrer comment on fait."
Il taloche à la main. J'ai
pris dans la brouette une grosse taloche de mortier, la claque contre
le mur, puis l'étale d'un coup en remontant
régulièrement. Cà impressionne Bob.
"- Ah oui, dis donc, çà va vite comme çà, tu fais comme mon voisin. You must be an expert !
- Non… Je bricole un peu oui, chez moi… Bob, tu vas pouvoir appeler çà le "French Wall !?
- Oh oui, cà sera le French Wall !"
A 60 ans, Bob a un petit
côté "adolescent attardé". Pardon ! C'est trop
péjoratif de dire cela. Il faudrait plutôt parler
d'enthousiasme, d'énergie positive. En même temps je crois
que beaucoup d'américains ont ce côté naïf et
enthousiaste. La possibilité de croire vraiment qu'ils
choisissent leur vie. Et réellement le faire.
Cà me rappelle tout à
coup cette histoire vraie aussi, cette dépêche d'agence il
y a quelques jours : Kent Couch, cet américain de l'Oregon qui
veut traverser les Rocheuses en chaise de jardin, porté par plus
de 150 ballons gonflés à l'hélium… Ce
pompiste de profession a décollé, son café
à la main, pour rejoindre l'Idaho. Quelques heures plus tard, il
faisait savoir par son téléphone portable qu'il avait
déjà franchi environ 160 kilomètres et que tout
allait bien. Sa femme a déclaré : "Il est fou, je n'ai
jamais au un seul moment d'ennui depuis que je l'ai
épousé". C'est sa troisième tentative pour ce
parachutiste confirmé, qui réédite l'aventure d'un
autre américain dans les années 60. A l'époque le
lascar avait décollé en canapé, avec son pistolet,
dont il se servait pour réguler l'altitude. Pan ! Et un ballon
de moins…! Le hic supplémentaire c'est qu'il habitait pas
loin d'un aéroport. Son exploit avait été
signalé par les pilotes des longs courriers, en approche au
dessus du terrain, qui l'avaient croisé en vol…!
Je vous dis, ici ils ont un moral en acier…
Bob attend la visite d'un
inspecteur du service des eaux et de l'assainissement, qui doit
vérifier si son installation - fosse sceptique suivie d'un champ
d'épandage à deux mètres de profondeur - est
réglementaire. Le voici : un solide gaillard débarque
d'un pick up.
"- Bon, on va regarder çà…"
L'homme s'approche de la grande
tranchée, j'apporte l'échelle, il descend dedans dans un
nuage de poussière. Bob et moi restons en haut. Je chuchote : "- C'est le moment de tout reboucher…!"
L'inspecteur examine le
raccordement de la fosse, puis prend une barre à mine, et
l'enfonce dans le champ de graviers. Il répète
l'opération trois fois, à différents endroits de
la tranchée. Puis il ressort de la tranchée, et
s'approche de la maison, jette un coup d'oeil à
l'intérieur.
"- Vous habiteriez dans une maison comme celle ci ?
- Oh oui, je la
trouve marrante, elle est sympa, et je pense qu'il fait bon à
l'intérieur. Vous savez c'est un endroit un peu spécial
ici. Là bas, il y a une famille qui construit une maison en
paille, je suis allé les voir, çà a l'air de bien
marcher aussi."
Puis, s'adressant à Bob :
"- Bon, eh bien tout est ok, c'est bon, je valide votre installation.
- Cool ! Merci !"
Bob est tout content, il a enfin le tampon de l'administration.
"- Les engins
vont pouvoir venir boucher tout cela. je vais pouvoir me servir de la
fosse sceptique maintenant, et brancher les tuyaux dans la salle de
bain."
Bob a encore pas mal de travail
pour terminer sa maison. Il pensait y habiter pour la fin de
l'année, mais je crois qu'il est un peu optimiste. Il faut de
l'optimisme quand on construit sa maison tout seul.
Nous avons quitté Bob et sa
maison en forme de crotte géante d'un animal imaginaire du
désert. En parlant d'architecture organique, j'ai poussé
plus à l'est, vers Joshua Tree, pour espérer jeter un
oeil à la "High desert Home", cette incroyable maison de
l'architecte Ken Kellog's. Je ne pouvais pas résister à
l'envie de voir "en vrai" cette sorte de grand oiseau
préhistorique posé dans un site magnifique. Un toit en 23
feuilles de béton composite disposées en éventail
au milieu des rochers. Après quelques difficultés pour
repérer la maison, nous nous heurtons poliment à un
refus, par l'interphone du grillage métallique savamment
laissé brut, totalement rouillé. L'homme qui vient
d'aménager dans cette maison insolite a beaucoup
été sollicité, et il veut rester au calme
maintenant. Dommage, vraiment.
Retour
à Hesperia dans la chaleur écrasante d'un orage naissant. Là bas, à
l'horizon, on voit l'eau qui tombe déjà, en grands rideaux, sur le
désert Mojave.
=:-)
Sommaire voyage Etats Unis
Etape suivante : Iliona raconte son amour pour Nader, qui construit avec la terre et
la lumière, et voulait décrocher la lune…