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Habiter la Terre… Etats Unis
Colorado - Drop City 1
Clark raconte l'épopée mythique des dômes géodésiques, et la saga de Drop City.
Mardi 1 Juillet
Journée de transfert.
New York > Denver.
Overbookés à l'aéroport de Denver, nous sommes
refoulés, et replacés sur le vol de l'après midi,
avec escale à Chicago !
Le black du Fast Food me demande mon passeport quand je commande une bière.
"- Vous pensez qu'avec la tête que j'ai le jour de l'anniversaire de mes 48 ans j'ai moins de 18 ans !?"
Rigolades. Enfin une bonne nouvelle aujourd'hui !
80 personnes sont de nouveau overbookées à l'escale de
Chicago. Heureusement nous avons nos places pour Denver. Tout le charme
des voyages aux Etats Unis.
Denver. Les grandes plaines du Colorado, avec les Rocheuses à l'horizon.
La ville riche étale ses grands immeubles le long d'avenues bien propres.
Hôtel design.
Mercredi 2 Juillet
Il m'a donné rendez vous à la "Rule Gallery", au 227
Broadway. Au téléphone, sa voix grave et posée
laissait deviner un homme plutôt zen. Clark Richert est un
artiste. Clark Richert est un "Dropper", c'est à dire un de ceux
qui vivaient dans la ville mythique de Drop City. Une ville
éphémère, construite dans le désert du
Colorado dans les années 60. Une ville qui a marqué
l'esprit de nombres d'architectes et constructeurs américains et
européens. Et dont les principes constructifs étaient
à la fois novateurs pour l'époque, et reviennent à
la mode aujourd'hui. Mais n'allons pas trop vite…
En descendant de son pick up, Clark prend une petite structure de
plastique à l'arrière. Avant de rentrer dans la galerie,
il s'arrête sur le trottoir. Le soleil est déjà
haut dans le ciel.
"- Je veux te montrer quelque chose. Regarde, c'est un assemblage fait à partir de tubes de plastique."
Il tient la structure entre ses mains, et tend le bras, en faisant
tourner l'objet jusqu'à ce qu'il s'arrête dans une
position bien précise.
"- En alignant les deux sommets de cette sphère
géodésique dans l'axe des rayons du soleil, cela produit
l'ombre de deux diamants qui se combinent".
Effectivement, la projection de l'ombre sur le sol dessine deux
"diamants" imbriqués, dans ce que j'apprendrai plus tard être
un mandala étoilé !

Clark Richert est un de ces artistes des années 60 toujours
à la recherche de nouvelles expérimentations.
Fasciné par les formes géométriques, les calculs
mathématiques, il travaille par exemple sur les "tuiles de
Penrose", ces petits losanges qui se combinent pour former des
structures tri dimensionnelles.
"- J'ai découvert cela avant Penrose. Lui, il a donné un nom à tout çà : le sien…"

Ce qui frappe chez Clark, c'est son calme, et son humilité. Je
vous passe les détails, mais Clark Richert et sa bande, ont
élaboré des structures tridimensionnelles dans les
années 60. Et ce n'est que dans les années 90 que les
physiciens (par exemple) ont découvert que ces structures
correspondaient à des formes très particulières,
à la structure de certains cristaux par exemple. Tout cela
tourne autour des questions du nombre d'or. Un territoire fascinant que
j'avoue ne pas très bien connaître.
Nous entrons dans la galerie. Aujourd'hui Clark peint des toiles -
classées "art contemporain" - à base de ces formes
géométriques qu'il a expérimenté à
Drop City. Nous sortons un grand tableau de la remise, et l'apportons
vers la lumière.
"- Il faut que je te dise quelque chose à propos du nom de Drop
City. La plupart des gens ont dit que cette ville s'appelait Drop City
parce qu'on voulait quitter la société de
l'époque. Mais "Drop" ne vient pas de là. Cela vient du
"Drop Art". Tout cela a commencé quand on montait sur le toit
des immeubles, et on s'amusait à lancer des pierres, qui
s'éclataient sur le trottoir. Nous avons appelé cela du
"Drop Art". Ensuite, nous avons expérimenté
différentes formes artistiques."
Une petite communauté d'artistes sans le sou décide donc
d'aller vivre dans un coin perdu. Ils montent une association, qui va
gérer un terrain, loué pour quelques clopinettes,
à côté de Trinidad, dans le sud du Colorado. Et ils
commencent à construire Drop City. Clark a apporté des
photos de Drop City. Elles montrent des dômes bariolés,
aux multiples facettes, au look futuriste. Toutes les maisons furent
construites avec des matériaux de récupération.
Simplement parce que ces jeunes gens n'avaient pas le sou. Les
tôles de récupération proviennent des capots de
voitures récupérées dans les casses
voisines… L'isolation est naturellement celle des tôles de
voiture, juste redécoupées et assemblées. Je vois
une cheminée sur la photo.
"- Oui, on avait une poêle, nous l'avons supprimé ensuite quand on a installé le système solaire.
- Mais pourquoi avoir décidé de faire des maisons avec cette forme ?
- Je me souviens que Buckminster Fuller (architecte, designer,
inventeur et écrivain américain, créateur entre
autres du concept de dôme géodésique, et
découvreur du principe structurel de tenségrité)
était venu faire une conférence, qui avait duré 6
heures ! C'était passionnant ! En sortant de la
conférence, je me suis dit : je vais habiter dans un dôme
!"
Inspirés par les recherches de Buckminster Fuller, les jeunes
artistes de Drop City assemblent petit à petit leurs maisons.
"- On n'avait pas d'argent, alors on a fait avec ce qu'on trouvait sur place.
Cette maison, tu vois, elle a coûté 7 dollars. Celle ci un peu plus cher : 14 dollars…"
Ils achètent des pièces de bois à un prix
dérisoire, et parfois ne respectent pas les règles par
rapport à la solidité de l'ensemble, mais tout cela tient
le coup.
"- Est ce que c'est bien de vivre dans un dôme comme celui ci ?
- Il y a eu beaucoup de critiques en disant que les dômes
n'étaient pas pratiques parce que rien n'étaient droit
à l'intérieur par exemple. Mais nous faisions des
séparations verticales à l'intérieur. D'autres
disaient qu'il y faisait froid en hiver. Il y a avait bien sûr
plein de sceptiques.
- Il devait faire très chaud à l'intérieur ?
"- Non, pas du tout. Nous avions un système qui permettait de
relever le bas de la couverture, et aussi une ouverture au sommet. Cela
faisait une ventilation naturelle, comme dans les tipis des indiens,
par exemple".
Les habitants de Drop City voient un jour s'installer Steve Baer, un
gars venu du sud. Steve Baer est spécialiste des Zômes,
dômes constitués de zonoèdres, avec des faces en
forme de losanges. Et dont le mandala étoilé est le
symbole géométrique (la projection des arêtes sur
un plan perpendiculaire à l'axe). Des recherches qui croisent
directement les préoccupations des artistes de Drop City !
Je repense à l'ombre sur le trottoir tout à l'heure… Un mandala étoilé…
A Drop City, Steve Baer expérimente un système solaire
passif, totalement révolutionnaire à l'époque.
"- Regarde, on voit bien sur cette photo. Tu vois, là c'est le système solaire."
Une série de tuyaux en fer, recouvert de plaques de verre, fait
monter la température de l'air qui circule à
l'intérieur. Cet air vient chauffer des pierres, qui constituent
la masse thermique. Un tuyau mène l'air chaud vers la maison.
Une partie de l'air repart à la base du dispositif, en se
refroidissant. Le circuit en boucle de l'air chauffé par le
soleil se fait par convection naturelle, sans aucun autre apport
d'énergie. Pas besoin d'eau ou d'autre liquide non plus. Simple
comme bonjour. Efficace.
"- Même en hiver, pendant les froides journées, on était obligé d'ouvrir tellement il faisait chaud."
Steve Baer construit à Drop City sa maison sur deux niveaux.
Plus loin, trois dômes réunis abritent une même
famille. Les habitants de Drop City décident enfin de construire
un théâtre, qui va servir d'espace de recherche artistique
et de représentation. Le théâtre est un immense
dôme d'environ 15 mètres de diamètre, construit sur
le même principe que les habitations. A l'intérieur, ils
installent des toiles circulaires, qui tournent à toute vitesse,
éclairées par un stroboscope dont ils règlent la
vitesse. La stroboscopie y génère une superposition de
motifs géométriques peints sur les toiles, une oeuvre
éphémère et intouchable, puis qu'elle
disparaît dès que le stroboscope s'arrête…
Ils expérimentent cette installation à Drop City, puis
leur trouvaille fait le tour des musées américains. Ils
exposent notamment à Brooklyn, à San Francisco. Petit
à petit, Drop City entre dans l'histoire. Venus des grandes
métropoles de l'Est, en route vers San Francisco, beaucoup de
hippies s'arrêtent à Drop City pour vivre là
quelques jours. Mais la communauté de permanents est d'environ
40 personnes.
"- C'était de l'expérimentation ou une utopie ?
- Je dirai que c'était de l'expérimentation, vraiment.
J'ai passé plusieurs années de ma vie là bas,
c'est définitivement la meilleure période de ma vie,
parce que nous expérimentions tout. Nous étions libres."
Beaucoup de monde est passé à Drop City. Timothy Leary,
Jim Morrison, etc… Puis la communauté, les années
passant, s'est petit à petit éclaté. Les familles
ont abandonné les dômes. Aujourd'hui la ville semble avoir
disparu.
Clark m'a confirmé sur Google Earth la position exacte de Drop
City. Je l'avais repéré, mais je n'étais pas
sûr. Nous faisons route vers le sud sur le highway. Les
cumulonimbus se sont transformés en orages qui éclatent
maintenant sur les Rocheuses.
Nous avons quitté Denver, puis rejoignons Colorado Springs, et
continuons sur le highway 25 vers le sud, en direction de Trinidad.
Je suis impressionné par l'extension de ces villes du Colorado,
avec leurs immenses nouveaux quartiers posés au milieu de la
grande prairie.
=:-)
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Etape suivante : Carol et Jerry nous invitent dans leur diligence moderne, au fin fond des Rocheuses.