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Pologne - Les années Sida

Magazine "24H" - Canal +

Varsovie. Pologne.
Décembre 1992


Elle s'appelle Aïcha. Elle a 21 ans. Elle survit dans un algeco, entre deux bretelles d'autoroute, dans la périphérie de Varsovie. Cet algeco, c'est la "poubelle", comme disent les polonais. Là où s'entassent les malades du sida. On ne sait pas quoi en faire. Alors ils viennent finir leur vie ici, dans ce mouroir sordide.
Aïcha se shoote sur son lit déglingué. Sans cela, elle ne pourrait supporter cette dernière journée en compagnie de sa meilleure amie, qui part aujourd'hui pour l'hôpital, pour son dernier voyage. L'ambulance arrive, qui emporte cette fille affaiblie par des mois de souffrance. Je me tiens à distance de ces adieux déchirants.
Aïcha est revenue dans le mouroir. Profitant d'un instant de confusion, un homme décharné, avec une seringue pleine de sang entre les dents, essaye de grimper par la fenêtre ouverte. Il fait trop froid dehors, il voudrait bien rentrer se shooter à l'intérieur.
Aïcha prend le bus, dans le froid glacial de décembre. Les gens s'écartent pour laisser passer ce visage décharné, aux yeux grands ouverts sur ce qui lui reste à vivre. Dans le centre ancien de Varsovie, dans le quartier historique, elle s'installe au coin d'une ruelle, et sort une flûte de sa veste. Son unique moyen de rapporter un peu d'argent.
Voici un groupe de mamies en manteaux de fourrure, qui visitent leur propre pays. La guide explique en polonais qu'il s'agit des jeunes séropositifs, avant de continuer la visite des façades des maisons bourgeoises du quartier historique. Elle parle d'Aïcha comme d'une statue. Effectivement, Aïcha se tient bien droite, étonnamment immobile. Imperturbable, elle continue son morceau. Une femme la toise de haut en bas, avant de s'éloigner. Confrontation-incompréhension si forte de sens…
Le soir, nous quittons Aïcha, qui nous serre dans ses bras. Dernières embrassades, en sachant très bien que c'est la dernière fois. L'interprète s'effondre. J'essaie de garder un peu de contenance.
Une voiture est venue nous chercher, qui déboule maintenant dans la nuit sombre de Varsovie. Il nous reste la nuit. Je n'ai pas faim. Ce soir, j'ai juste envie de boire, et de pleurer. Pleurer tout mon saoul. Pour décompresser, pour essayer d'oublier. Et en même temps garder à jamais ce regard si puissant d'Aïcha, qui espère revoir un jour son fils, avant de mourir.

=:-)


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