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Habiter la terre… Chine ! - Pékin
Voyage en Chine
Septembre - Octobre 2007
Pékin
Mercredi 3 Octobre
Lever à 6 heures, encore, comme presque tous les jours.
Du temps des empereurs, aucun toit de la ville ne devait
dépasser en hauteur ceux du palais, dans la Cité
Interdite. La ville s'est pendant longtemps développé
à l'horizontale.
Depuis les deux dernières décennies, les tours
d'habitations et de bureaux ont poussé comme des champignons.
Pékin veut rattraper Shanghai. La pression augmente sur le
centre ville, où à l'approche des Jeux Olympiques de
2008, la spéculation immobilière s'affole. Le
gouvernement tente de raisonner l'affaire, mais ce n'est pas facile.
Pékin a gardé pourtant un certain cachet. Pas pour très longtemps peut être…
Je préfère Pékin à Shanghai, justement pour
son côté "ville de campagne". Ca peut paraître
bizarre de dire çà, mais il y a plein d'endroits
où on se retrouve dans de petites ruelles, les "hutongs". Les
toits sont bas, mille échoppes qui débordent de tous les
biens de consommation, restaurants populaires au mobilier en plastique
ou formica, des quartiers entiers qui restent très vivants comme
seule l'Asie sait le montrer.
Juste à côté, pourtant, ces immenses avenues
à 4 X 6 voies, qui traversent la ville de part en part, et le
long desquelles s'alignent les immeubles de bureau et les hôtels,
et les grands magasins.
Si ce n'était la pollution, vraiment pénible, je voudrais
rester plusieurs semaines ici, à explorer les ruelles, temples,
et autres lieux fascinants de la ville.
Dix heures. Nous débarquons dans un hutong, ces fameuses ruelles caractéristiques de la capitale chinoise.
Rendez vous au numéro 222.
Sur le mur, derrière de grandes barrières
métalliques, il y a de vieilles peintures représentant
des personnages imaginaires. En fait, les maisons derrière ce
mur sont le lieu du premier opéra de pékin ! Ironie de
l'histoire, alors qu'on inaugure en fanfare le nouvel opéra
ultramoderne de la capitale (architecte français), on veut
démolir ici le lieu historique de la naissance même de
l'opéra de Pékin…
C'est ce que nous sommes venus filmer ici : Pékin démolit
à tout va, pour reconstruire du neuf. On éjecte les
habitants du centre ancien vers la périphérie, pour
transformer les vieux quartiers en centre commerciaux.
Ici, au numéro 222, c'est un endroit exceptionnel, parce que
plusieurs "Sihueyan" appartenaient à la même famille.
L'habitat n'a pas été morcelé. Le sihueyan, c'est
l'habitat traditionnel du nord de la Chine. Plusieurs pièces
réparties autour d'une cour carrée.
Nous avons rendez vous avec Guo Haipeng. D'abord Guo Haipeng nous fait
visiter les cours carrées. Nous enjambons les gravas pour
découvrir trois cours carrées successives, certaines
complètement à l'abandon… Un des Sihueyan est
intact, dans son jus depuis 200 ans.
Un beau jour de 2006, les autorités sont venues collées
ce papier d'expulsion sur la façade. Il fallait partir. Les
habitants ont refusé. Guo Haipeng a refusé de rendre la
clé. Les autorités ont coupé l'eau. Les habitants
ont alors bricolé un système pour récupérer
un mince filet d'eau.
Sur la partie droite, une cour carrée est encore habitée,
par Mr Lin Peicheng. Deux portes métalliques successives donnent
sur une cour carrée envahie de plantes. Au centre une grande
poterie avec des fleurs de lotus. Un peu partout d'autres plantes, et
des petits bassins. Amoncellement d'objets divers de différentes
époques.
Mr Lin Peicheng est fier, quand nous pénétrons dans la
salle à manger, de me montrer sa photo où on le voit
devant…la pyramide du Louvre ! Mr Lin Peicheng me raconte
l'histoire de sa maison. Plus de 60 ans qu'il habite ici. Son
père était le médecin de Zhou En Lai, le premier
ministre de Mao. Alors il a pu sauvegarder l'endroit, pour l'instant,
et surtout rester propriétaire du Sihueyan. Devant la pression
internationale, il semblerait que les autorités aient
accepté de ne pas tout démolir le centre ancien. Mais il
y a tellement de conflits entre le gouvernement central et les
autorités locales que la partie est loin d'être
gagnée. Mr Lin, justement, en sait quelque chose, puisqu'il est
cadre du Parti Communiste chinois.
Mr Lin Peicheng s'occupe de ses poissons rouges.
Mr Lin Peicheng a un merle qui dit "Ni Hao" (bonjour), dans une petite cage.
Mr Lin Peicheng taille ses plantes, ramasse trois feuilles mortes.
Mr Lin Peicheng me raconte l'éclatement de la famille en Chine,
les jeunes qui n'acceptent plus le vis à vis de ces maisons
traditionnelles, me parle du changement de mode de vie.
Nous cassons une croûte dans un restaurant de rue. Un de ces
endroits indescriptibles, carrément sale, où de bruyants
pékinois et touristes chinois se mélangent pour
dévorer quelque plats sur ces fameuses tables rondes aux
tabourets bancals. Plusieurs hauts parleurs déversent une
musique tonitruante qui se mélange au vacarme de la circulation
de l'avenue voisine.
Début d'après midi dans le quartier des anciennes
soieries. Les chinois de la province déboulent par centaines
dans les petites ruelles commerçantes. Derrière
d'immenses panneaux métalliques, le bruit incessant des marteaux
piqueurs couvre les hauts parleurs des bonimenteurs en tous genres : on
démolit à tout va. Dans une ruelle latérale, une
façade aux balcons aux boiseries superbes, promise à la
démolition. "Pékin ne sera plus Pékin, c'est fini
!" me dit cette dame assise devant la devanture crasseuse de son boui
boui, au rez de chaussée. A la une du journal, une photo du
nouveau stade olympique, juste inauguré.
Repartis toujours à pied dans les rues du centre.
La rue des magasins de calligraphie. Nous rentrons dans celui où
Zhe vient s'approvisionner en pinceaux. Petite, elle économisait
pendant des semaines et elle apportait alors toutes ses pièces
d'un coup. Et personne ne se moquait. Respect.
Le patron, très aimable, encadre une tripotée de
vendeuses, et deux fabricants de pinceaux. Des centaines de
références de pinceaux, en poil de lapin, poil de loup,
etc…
Je suis venu pour qu'on m'écrive le mot "maison" en calligraphie
chinoise. Encre de Chine sur papier écru. Le premier
idéogramme symbolise un toit. Une maison, c'est d'abord un toit.
J'ai envie de m'en servir pour le film, dans la séquence de
Pékin.
Nous sommes repartis. Une tentative pour aller à la tour du tambour, pour faire des plans en hauteur de la ville.
Nous longeons les bâtiments du gouvernement. Plusieurs hectares
au coeur de la ville. Une sorte d'îlot urbain
hypersurveillé. L'endroit où fut séquestré
la bande des quatre. Un des endroits les plus
impénétrables du pays.
Il nous a fallu 45 minutes pour un trajet qui en prend 10 normalement,
à cause des embouteillages chroniques du centre ville. La tour
du tambour vient de fermer. Chou blanc.
Retour épuisés à l'hôtel.
De nuit, je ressors pour traîner en ville.
Immense librairie de cinq étages, où je déniche
une carte de Pékin et sa région, pour ma collection
personnelle…
Dans la rue piétonne, des milliers de jeunes profitent des
plaisirs futiles de la modernité en déambulant - glace
à la main - devant les vitrines géantes des magasins de
marque internationaux, dans un brouhaha épouvantable.
Et toujours ce contraste saisissant. Rolls Royce et autres ferrari en
vitrine du Regent Hotel, et juste à côté cette
petite ruelle où un vieux pékinois accroupi, à la
barbe blanche et au visage tout ridé, fume sa pipe à
côté de son vélo d'un autre temps.
Jeudi 4 Octobre
En sortant de l'hôtel, tout de suite, cette odeur qui vous prend et ne vous lâche plus.
Un mélange de poussière, de gaz d'échappement, et
d'odeur de ferraille coupée à la disqueuse sur les
chantiers.
Il est 8h30.
Nous nous sommes répartis le travail ce matin. Arnaud est parti
filmer les immeubles en construction sur les grandes avenues. Je pars
filmer - en touriste, avec la petite caméra - la cité
interdite, où je veux capter quelques détails
architecturaux tout en racontant l'ambiance du lieu.
Un homme pêche dans les douves de la cité, avec une
immense canne à pêche en bambou. Image un peu
décalée au milieu de la ville. Des flots continus de
groupes de touristes convergent vers la place Tian An Men. Des milliers
de chinois en vacances sont venus admirer les lieux. Au milieu de cette
marée humaine qui envahit les escaliers de l'ancien palais
impérial, il y a ce vieil homme en veste traditionnelle bleue,
avec une grande barbichette blanche, un calot, le visage tout
ridé, qui donne l'impression de danser quand il marche,
accompagné de sa jeune famille, qui s'approche du palais de
l'harmonie céleste. Je m'imagine qu'il vient du fin fond de sa
campagne, et que ses petits enfants qui l'accompagnent lui ont
payé le voyage ici.
J'étais déjà venu, mais à nouveau je tombe
sous le charme de l'endroit. Impossible à décrire, je
n'ai pas le temps ici.
C'est vrai aussi qu'il faut pénétrer dans l'enceinte de
cet immense palais pour espérer mesurer la puissance de l'empire
chinois de l'époque.
La foule se bouscule, c'est la cohue pour admirer la grandeur des
lieux, les différentes portes et palais, les expositions du
mobilier d'époque, les palais adjacents, les jardins de
l'empereur, etc… Je profite de désordre
général pour faire les plans dont j'ai besoin,
malgré quelques regards appuyés des gens du service de
sécurité qui lorgnent sur la caméra.
Un peu plus tard, un court moment de répit relatif en montant
à la colline du charbon, dans un bois de cèdres et de
bambous. Du temple de Wenchan, on a une belle vue sur les toits de la
ville. Et ces images des toits de la cité interdite,
cernée de tous côtés par les buildings en
construction. De l'autre côté des toits d'or, la carcasse
du nouvel opéra de Pékin scintille à contre jour.
J'ai repris un taxi, la tête lourde, un goût âcre
dans la gorge. S'il n'y avait pas la chambre d'hôtel pour
m'affaler un instant sur le lit, je ferais comme tous ces chinois qui
dorment un peu partout, dans les bus, dans les voitures le temps du feu
rouge, à l'arrière des vélos, par terre sur un
carton, à l'arrière d'un scooter, épuisés
par le vacarme et l'air vicié de la capitale en chantier
permanent. Jour et nuit.
En milieu d'après midi, vol Pékin > Taiyuan.
Arrivée sous la pluie. Travelling nocturne entre deux
rangées de lampadaires faiblards qui percent avec peine une
sorte de brouillard.
Taiyuan, c'est une de ces villes minières du nord de la Chine.
Plus de 4 M d'habitants ici. Le charbon rapporte. En tous cas aux
patrons de l'industrie minière. Pendant que ces derniers se
payent les derniers modèles de Jaguar ou Lamborghini, les
ouvriers crèvent à coup de grisou dans les galeries mal
étayées, sur le front de taille.
Je retrouve un peu la Chine que j'avais connu dans les années
90. La Chine grisaille. La Chine sale. Mêmes bâtiments
démesurés. Peu de signalétique
étrangère hormis quelques publicités
géantes. C'est la Chine des ces villes moyennes industrielles
(il y en a plus de 400 dans le pays…).
World Trade Hotel. Un bâtiment de pure mégalomanie
architecturale. Chambre au 28 éme étage d'un hôtel
qui en fait 40. Un 5 étoiles Chine à 60 €…
Restaurant japonais, séparé du restaurant chinois par un
aquarium d'une dizaine de mètres de long où glisse sans
bruit un énorme poisson sombre aux rayures rouge, avec de grands
yeux vitreux. Inconnu au bataillon. Etrange.
A minuit, un puissant feu d'artifice me tire du sommeil profond dans
lequel j'avais sombré. C'est la saison des mariages. La
fumée bleue des centaines de pétards se mélange au
brouillard en montant le long des 45 étages du bâtiment.
Demain nous échappons une nouvelle fois à l'enfer urbain
pour aller nous frotter au fleuve jaune, au fin fond de la province de
Shaanxi.
=:-)
Etape suivante : Qikou
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