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Habiter la terre… Chine ! - Mogao
Voyage en Chine
Septembre - Octobre 2007
Mogao
Dimanche 7 Octobre
Lever à 5h45, donc.
Je suis carrément au radar ce matin…
Un bonbon "Fischerman Friend" au citron en guise de petit déjeuner. Trop cool…
Vol Taiyuan > Xi'an.
Escale de quatre heures à Xi'an, mais nous n'avons pas le temps
d'aller voir les 6000 soldats de l'armée de terre cuite,
à près de deux heures de route de l'aéroport.
Dommage !
Vol Xi'an > Dunhuang. J'en profite pour rattraper le retard de mon journal de bord.
16h00. Le Boeing 737 de la China Eastern se pose à Dunhuang,
à trois heures de vol de Xi'an, encore plus à l'Ouest.
Une ville carrefour, entre le désert de Taklamakan et le
désert de Gobi.
Encore une autre Chine. La Chine jaune, sèche, désertique. La Chine de l'Ouest.
Un vent de sable couvre tout le paysage d'une drôle de teinte. Température 13°C.
Ici la principale ressource, c'est le coton. C'est le moment où
on le ramasse. De grands panneaux invitent à faire des
économies d'eau… Facile à écrire, le coton
étant une des cultures qui en consomme le plus ! Nous croisons
des tracteurs tirant d'énormes charrettes de balles de coton
juste cueilli.
Grand hôtel à l'architecture stalinienne, avec un hall
assez psychédélique : on a accroché au plafond des
dizaines de parapluies ouverts multicolores tout autour d'un lustre
classique énorme.
Nous filons acheter une torche puissante au supermarché du coin : demain l'objectif ce sont les grottes de Mogao.
Brochettes de légumes et autres viandes trempées dans le chaudron d'un boui boui populaire du marché.
Le sauna de l'hôtel est désaffecté. Dommage.
Un vieil aveugle à la blouse sale, guidé par une chinoise
braillarde, me propose un "body massage" dans une pièce
carrelée éclairée par un néon blafard. Je
décline poliment l'invitation.
Lundi 8 Octobre
8h00. Nous avons affrété un taxi pour les grottes de
Mogao, à une vingtaine de kilomètres de Dunhuang.
Situées à un point stratégique le long de la route
de la Soie, au carrefour du commerce tout comme des influences
religieuses, culturelles et intellectuelles, les grottes de Mogao
passent en revue 1000 ans d'art bouddhique. Plus de 700 grottes, dont
500 recèlent des fresques et des sculptures en terre. Mais le
clou du spectacle, c'est la grotte N° 96 et son bouddha
géant, la plus grande statue d'argile et de pierre au monde.
Nous avons rendez vous à l'institut de recherche de Mogao. Un
petit bonhomme en costard cravate, avec un immense sourire, sort d'une
baraque en parpaings. C'est Mr Peng Jinzhang. Archéologue. 70
ans. Passionné d'art bouddhique, il vit depuis plus de 20 ans au
pied de ces statues.
Nous nous approchons maintenant de la grotte N°96. Une autorisation
exceptionnelle va nous permettre de filmer à l'intérieur.
La grotte a une façade de neuf étages d'avants toits.
Nous franchissons la porte, et découvrons petit à petit
une gigantesque statue. Un bouddha géant. 35 mètres de
hauteur ! Elle a été sculptée en 695, quand Wu
Zetian a été sacrée première femme
impératrice de l'histoire chinoise. C'était pour exprimer
sa gratitude pour l'aide donnée par le bouddha, et pour
consolider son règne grâce au pouvoir de la religion. La
construction a duré 12 ans. C'est le plus grand bouddha
"abrité" de Chine (à l'intérieur d'une "maison").
J'avais vu celui du monastère de Tashilumpo, à
Shigatsé, au Tibet, mais celui ci est encore plus grand.
Impressionnant.
"C'est moi qui ai découvert le socle ancien. On a creusé
au pied du bouddha, on a enlevé le sable, et là dessous,
il y avait le sol d'origine. regardez ces carreaux de terre cuite,
là ! La statue a ainsi gagné un mètre en hauteur.
Grâce à moi !". Et Mr Peng part dans un grand éclat
de rire. Puis il repart dans d'autres explications. Intarissable.
Pourquoi est il protégé par une véritable
façade construite à posteriori ? Pour le protéger
de la pluie et du vent, car c'est un bouddha peint. La falaise des
grottes de Mogao est plutôt sablonneuse et friable pour y tailler
des statues. Les artisans se sont donc tournés vers la sculpture
de l'argile. Le modelage commençait par l'installation d'un
cadre en bois qu'on enveloppait ensuite avec de la paille de
blé, du roseau et du chanvre. Puis sur cette structure on
appliquait un enduit. Ensuite on donnait la forme, et la couleur.
Les grottes aux Mille Bouddhas sont l'objet d'une douloureuse
controverse entre la Chine et l'Occident. Un scandale qui fait jaser
ici.
L'affaire commence au début du 20 ème siècle,
alors que la dynastie mandchoue des Qing est en état de
déliquescence. Dunhuang était depuis longtemps à
l'abandon. L'ouest extrême de la Chine, berceau de fabuleuses
civilisations enfouies sous les sables des déserts, commence
à attiser la convoitise d'archéologues et d'explorateurs
plus ou moins animés de bonnes intentions.
Deux figures émergent du groupe de ces aventuriers sinologues en
maraude sur la Route de la soie. Le premier, par qui le "scandale" de
Dunhuang arriva, c'est Marc Aurèle Stein. Juif hongrois
né à Budapest en 1862, avant de se convertir au
christianisme puis d'immigrer en Angleterre où il sera anobli,
cet étudiant en langues orientales part en Inde en 1888. En mars
1907, après une première expédition au Turkestan
chinois, le voici à Dunhuang, alors quasi ignoré des
Occidentaux. Des rumeurs laissant entendre que de précieux
manuscrits sont cachés dans les grottes de Mogao ne feront
qu'aiguiser son appétit de découvertes.
Sur place, l'explorateur britannique finit par faire connaissance d'un
moine taoïste, un certain abbé Wang. Stein le courtise, le
félicite sur les travaux de restauration effectués
alors qu'il n'en pense pas un mot jusqu'à ce que le moine,
flatté, sorte de sous son manteau un paquet de manuscrits. Mais
ce n'est là qu'un hors-d'oeuvre. Quelques heures plus tard,
l'abbé Wang lui ouvre la cache au trésor : une chambre
secrète, scellée dans la montagne depuis des
siècles et promise à l'oubli. "A la faible lueur de la
torche du prêtre , écrivit plus tard Stein, une masse
compacte de manuscrits grimpait jusqu'à trois mètres de
hauteur, sur une surface de près de deux cents mètres
carrés. Soigneusement conservés en raison de la
sécheresse du climat dans cette chambre taillée dans le
roc, cachés derrière un mur de briques, ces manuscrits
reposaient là, intouchés depuis des siècles." Sans
doute depuis les alentours de l'an 1000, pour être plus
précis.
Stein vient de faire l'une des découvertes majeures de
l'archéologie du 20 ème siècle : il y a là,
outre des broderies de soie représentant notamment des figures
tantriques, des dizaines de milliers de manuscrits en chinois, en
sogdien, en sanskrit, en turc oriental, même en hébreu,
les plus anciens datant du 5 ème siècle, les plus
récents du 10 ème. Un trésor inestimable
constitué en majorité de sutras bouddhiques, mais aussi
de livres plus profanes sur l'histoire, l'art et la littérature
chinoise, imprimés six cents ans avant la Bible de Gutenberg !
L'explorateur achète sept mille manuscrits complets, six mille
fragments plus quelques caisses remplies de broderies et de peintures.
Coût de cette opération financée par le British
Museum : 130 livres sterling....
Le deuxième personnage de cette histoire est français, il
s'appelle Paul Pelliot. Né en 1878, ce linguiste de haut vol
rattaché à l'école française
d'Extrême-Orient de Hanoï est surtout un sinologue
distingué. En 1908, Pelliot arrive à Dunhuang et
pénètre à son tour dans la fameuse "cave N°
17", telle qu'elle est numérotée aujourd'hui.
Emerveillé, le chercheur se met aussitôt à
l'ouvrage. Par rapport à Stein, il dispose d'un net avantage :
sa connaissance du chinois. Durant quinze jours, il affirmera avoir
consulté au quotidien près de mille manuscrits. A son
tour, il négocie l'achat d'une partie du trésor au
même abbé Wang. Pour moins cher encore : 90 livres en
échange d'une dizaine de milliers de manuscrits plus 250
iconographies. Le tout est déposé plus tard à
Paris, au Musée Guimet et à la Bibliothèque
nationale. Ils y sont encore, mais la France a donné à la
Chine les microfilms d'une partie des manuscrits. Mais les
spécialistes estiment ici ne pas avoir suffisamment accès
aux matériaux et s'estiment frustrés, dans la mesure
où la plupart des recherches concernant ces manuscrits ont eu
lieu à l'étranger.
Le chauffeur de taxi, lui, pense qu'il valait mieux que les manuscrits
aient filé hors du pays, les chinois n'auraient pas su les
protéger à l'époque. Il faut dire qu'il
connaît mieux l'histoire récente. Par exemple les
dégâts causés par des dizaines de soldats russes
blancs fuyant la révolution bolchévique : en 1921,
après avoir été arrêtés par les
autorités locales, ils établirent leurs quartiers dans
les cavernes…
Nous roulons maintenant le long des montagnes de sable.
Dans le pare soleil côté conducteur, il y a un
écran plat, relié au lecteur dvd embarqué, qui
diffuse un film de kung fu. Générique, puis belle
scène de bagarre dans les bambous.
Nous filons voir les dunes, au pied du Mont Mingsha, à une
vingtaine de kilomètres plus à l'Ouest. On appelle
l'endroit "les dunes qui crient", parce que le vent qui lève le
sable produit un son étrange.
Il y a un temple, avec un petit étang maintenu artificiellement,
pour les touristes. Mais les vacances chinoises (la fameuse "Golden
Week") sont terminées, il n'y a plus personne. Nous montons au
sommet des dunes. Nous sommes seuls. Le soleil, même s'il reste
un peu voilé, perce la couche de nuages. Tout à coup il
fait moins froid. Tranquilles, nous tournons les images d'introduction
de l'émission.
Le chauffeur de taxi nous a attendu. Retour en ville, sur fond de musique : "Hôtel California"…
A midi nous avons mangé du chameau (oui oui, avec deux bosses),
et des pâtes. Et aussi une recette de porc absolument
délicieuse. Ce matin c'était de l'âne,
mariné dans une sauce orientale. Un vrai marathon gastronomique,
j'vous jure !
C'est la fin du voyage.
Demain nous rentrons à Pékin pour prendre l'avion de retour.
J'ai encore en tête cette image du bouddha géant de Mogao. Sa posture. Ses mains. Et son visage apaisant.
Le sourire reste encore la plus belle façon de dire bonjour…
=:-)
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