
J'ai fini par ouvrir les yeux.
Avant, je respirais. Seulement.
J'ai ouvert les yeux, et la première chose que j'ai vu, c'est ce néon blafard au plafond.
Et j'ai entendu des bruits. Aussi. je reconnais les sons d'un hôpital.
C'est cool, je suis en vie.
Cette seule information suffit pour que je replonge dans un profond sommeil.
Combien de temps ? La morphine a
ceci de particulier qu'elle vous fait tout oublier. Elle vous plonge
dans un cocon, vous glissez dans une sorte d'enveloppe de coton. Un
délicieux brouillard de sons feutrés, où le temps
coule tout seul, vraiment tout seul.
J'ai des tuyaux un peu partout. Perfusions, oxygène, et je ne sais quoi encore. Mes poumons sont encombrés.
Pneumothorax, hémothorax, trauma cranien. Le choc a été rude. Bus contre voiture.
J'ai mal au dos, je ne peux pas
bouger. J'ai mal quand je respire. J'ai une amplitude très
limitée dans les mouvements de mes poumons. Normal, un volet
costal. Neuf côtes cassées. Cà, je l'ai su plus
tard. Pour l'instant, j'essaie de renaître à la vie. Je
suis en vie. Chaque seconde est un sursis. Point d'impatience. Plus
d'urgence. Etre là, simplement. Goûter pleinement au
bonheur du présent.
Plus tard, les amis sont là. Antoine, Caroline. Ils ont l'air d'aller. Je les vois, penchés sur mon lit.
Je suis en service de
réanimation de l'hôpital de Pointe à Pitre. En fait
j'ai refusé la priorité à un car de 45 places qui
venait par ma gauche, sur une bretelle d'accès à une voie
rapide. Difficile à croire… Que s'est il passé ?
Comment peut on avoir un instant d'inattention ? Moi qui n'ai jamais eu
le moindre accident en 25 ans de conduite, en roulant sur toutes les
routes du monde… Même pas une rayure de
portière…
C'est bizarre, j'ai toujours
pensé que si j'avais un jour un accident majeur j'aurais
quelques micro-secondes où je pourrais me dire : "Ben là
mon gars, tu es allé trop loin…!"
En fait çà ne se
passe pas du tout comme çà. Vous êtes en pleine
forme, la vie est belle, le temps est magnifique, et d'un coup vous
êtes mort (ou si vous avez de la chance, vous êtes encore
vivant). Mais alors… d'un coup !
Je ne me souviens de rien. J'ai un
trou de 24 heures dans le temps. Il paraît que c'est le
traumatisme crânien qui fait çà. Je ne me souviens
pas du choc, je ne me souviens pas que je reste dans la voiture en
disant que j'ai mal au dos et qu'ils faut attendre les pompiers, qu'il
faut que je reste immobile. Je ne me souviens pas des pompiers,
arrivés vite sur les lieux, qui me sortent de la voiture. Tout
çà, on me l'a raconté après.
Deux jours après, ou alors c'était peut être trois, une sonnerie stridente me tire du sommeil.
Est ce moi qui sonne ainsi ?
Si c'est moi, je dois bien avoir
une sonnette à portée de main, quelque part. Je passe au
moins deux ou trois minutes à essayer d'être sûr que
ce n'est pas moi qui sonne. Je tiraille deux ou trois câbles
électriques, deux ou trois tuyaux. Bon, allez, çà
suffit, je suis à peu près certain que ce n'est pas moi.
Tout çà est trop fatiguant, je me relâche.
Finalement, des infirmiers
arrivent en courant, et sautent sur le voisin, qui continuait à
sonner. Ils commencent tout de suite le massage cardiaque. Mon voisin,
c'est une personne âgée, hospitalisé pour une
attaque cardiaque.
Quelques minutes après, le
médecin arrive, je l'aperçois en train d'enfiler sa
blouse blanche. Je surveille tout ce manège d'un coin de
l'oeil…
- Bon… dit le médecin.
Les autres continuent.
- Bon… répète t il, (du genre : "C'est foutu").
Oui, c'est foutu, ils arrêtent.
Puis, ils s'apercoivent que
Théron essaie de dormir, à côté…
Alors, ils tirent une sorte de rideau entre mon voisin qui vient de
mourir et moi. Trop cool. Merci. Même pas la force de parler. Je
me rendors.
Le lendemain, Antoine est à
l'hôtel, encore groggy par tous ces événements,
quand le téléphone sonne.
- Mr Antoine de Maximy ?
- Oui
- Mr Théron est mort…
- Quoi ? Vous êtes sûr ? Ce n'est pas possible, je l'ai vu hier, il avait l'air d'aller mieux.
Au bout de quelques minutes, le
gars convient d'aller vérifier dans le service. L'hôpital
téléphone à nouveau, au bout d'un moment, pour
confirmer - sans s'excuser - que je suis bien vivant… Par
bonheur, ils n'avaient pas trouvé d'autres numéros de
téléphone, par exemple en France…
Petit à petit, j'arrive
à remonter la pente. Je sors de l'hôpital au bout de trois
semaines. Encore une semaine de rééducation, au bord de
l'eau, pour être en état de reprendre l'avion de retour.
La maison. Vide.
Chaque mouvement est un effort,
chaque déplacement est difficile. Je reprends petit à
petit mes esprits, je travaille régulièrement pour
chasser le vertige.
Après, il y a les mois de
convalescence, la bataille pour retrouver l'équilibre et
l'énergie. Rééducation, respirations, travail sur
soi. Au bout de trois mois, j'arrive enfin à faire mes nuits.
Comme les bébés. J'arrive à passer une nuit sans
être réveillé par les douleurs aux côtes.
Avant, j'étais réveillé toutes les heures par la
douleur.
Plus d'un an à avoir mal tous les jours.
Le médecin qui m'a
ausculté à Pointe à Pitre, en me disant que je ne
pourrais plus jamais faire de la plongée sous marine et du sport
est un incapable.
Merci à mon pneumologue
grenoblois, qui m'a encouragé à repousser mes nouvelles
limites, de m'avoir redonné confiance.
Merci à la vie.
=:-)

=:-)
